Tequila, ton nom crépite comme un feu mexicain qui pique le gosier d’une brûlure âcre. Il s’illumine de bleu irisé, la couleur des champs agaves, ces grands cactus plantés en rang d’oignon dans le Mexique central où tu es né. Au Mexique, on t’appelle «le» tequila, peut-être pour souligner ta force virile. Mais tu n’hésites pas à flirter avec le citron et le sel pour te travestir en Margarita. Goutte d’or transparente, personnalité extravagante qui coule dans les veines du monde entier, tu as su te faire une réputation au-delà des frontières. Plus de 80 % de ta production totale, soit 350 millions de litres en 2019, est destinée à l’exportation et, sans surprise, ce sont les États-Unis qui en absorbent 55%. Parmi les nombreuses marques de tequila (plus de 1000), les stars ont pour nom : Herradura, Cofradia, Sauza Hornitos, El Tesoro, Jose Cuervo, Tres Hermanos, etc. Et pas question de jouer avec ton identité mexicaine, le tequila fait l’objet d’une réglementation précise. Il ne peut être produit qu’à partir d’une seule variété d’agave, la Tequilana Weber Azul, pour être étiqueté 100 % Tequila et n’est produit que dans cinq États mexicains : le Jalisco, Michoacán, Tamaulipas, Nayarit et Guanajuato.
Les plus anciennes distilleries et les meilleurs tequilas se trouvent dans l’État du Jalisco (ouest du Mexique central). De nombreux tours du tequila sont organisés depuis la ville de Guadalajara, sa capitale. Ils permettent en une journée de découvrir la beauté des paysages champêtres ainsi que la charmante ville de Tequila (à 60 km de Guadalajara). Ils comprennent la visite de deux ou trois distilleries et la dégustation – dès le matin – de nombreux crus. Les estomacs délicats auront à s’accrocher, mais c’est sans doute la meilleure façon de se familiariser avec cet alcool qui selon la légende serait de source divine. Frappé par un éclair, un cœur d’agave aurait libéré un nectar merveilleux doté de vertus magiques et aphrodisiaques. Légende ou non, toujours est-il que les Mexicains apprécient fortement cette eau-de-vie issue de la fermentation puis de la distillation du jus de l’agave qu’ils produisent depuis des siècles.
Le premier arrêt de notre tour en minibus se fait à la distillerie Tres Mujeres, une distillerie bio. Dans les champs qui la bordent, des «jimadors», ouvriers agricoles spécialisés dans la culture des agaves, s’apprêtent à traiter des agaves arrivées à maturité (au bout de sept ans). Ils nous montrent comment déterrer l’agave puis la dépouiller de ses feuilles à l’aide d’un outil tranchant spécifique, la «coa», pour parvenir à son coeur «la pina», nommée ainsi en raison de sa ressemblance avec un énorme ananas qui se dit «pina» en espagnol. C’est le cœur de l’agave qui sera cuit. Une fois cuits, les cœurs sont broyés pour libérer le jus qui est alors séparé du moût. Le jus est ensuite fermenté, première étape de l’élaboration. La fermentation dure de 2 à 12 jours suivant qu’elle est industrielle ou traditionnelle. Au cours de la seconde étape, le jus fermenté est filtré et distillé en alambic traditionnel (à repasse en cuivre) qui permet la double distillation exigée par la loi.
Le tequila blanc est le tequila à la sortie de la double distillation. Il se déguste avec du sel et du citron sans doute pour édulcorer son gout âpre : on saupoudre le dessus de la main gauche de sel et on suce un peu de citron vert avant de boire le tequila cul sec.
La troisième étape consiste à procéder au vieillissement en fut de chêne pour gagner de la noblesse et une belle couleur ambrée. Suivant la durée du vieillissement, on obtient trois variétés de tequila. Le «Tequila Reposado» doit reposer au moins 2 mois en fût. Le «Tequila Anejo», au moins un an. Et le nec plus ultra, le «Tequila extra-Anejo», au moins trois ans.
Après une dégustation des quatre variétés à jeun à 11 heures du matin, le minibus nous conduit à la ravissante ville de Tequila. Là, nous avons droit à une visite libre d’une heure pour laquelle on est soumis à un choix cornélien. Soit parcourir la petite ville en tous sens, le gosier à vif et le pas hésitant, pour tenter de reprendre ses esprits soit se laisser aller à continuer «librement» les dégustations dans l’une des 35 distilleries de l’endroit. Il aurait été dommage de ne pas garder raison et de se priver de la découverte de cette cité pittoresque. Avec ses riantes places centrales bordées d’arcades, ses rues aux maisons colorées, ses vieilles églises, ses boutiques élégantes, ses restaurants fins et ses beaux jardins, sans oublier le musée du tequila dans une demeure ancienne, le centre-ville a beaucoup de charme.
Nous ne serons pas en reste. Une seconde dégustation nous attend à la Casa Cofradia, à quelques kilomètres de Tequila, où nous mène le minibus. Elle sera suivie d’un déjeuner, un buffet de plats traditionnels simples et sains, qui a lieu dans les vastes et belles caves de l’hacienda. Ceux qui ont connu Woodstock ont certainement encore en tête « Soul Sacrifice » de Carlos Santana. Carlos Santana, guitariste américano-mexicain hors-pair dont le père était mariachi (1), est né en 1947 dans l’Etat de Jalisco. Quelle n’a pas été notre surprise d’apprendre que Carlos Santana est depuis une dizaine d’années l’un des associés de cette distillerie-hôtel ! Un bel hôtel moderne, entouré de monts verdoyants au pied desquels s’étendent des champs d’agaves bleus, qui offre un environnement reposant et confortable aux cadres stressés. Santana a associé son image au « Tequila Casa Noble » de la distillerie Cofradia, pour le faire décoller à l’exportation. Quand on sait que son album « Supernatural » s’est vendu à 26 millions d’exemplaires, on se dit que ce n’est peut-être pas une mauvaise idée.
Les yeux irisés de bleu, le corps ondoyant sous les vibrations jazzy de la guitare de Santana, le gosier en feu, le cœur pulsant le tequila, on quitte à regret les champs d’agaves du Jalisco pour retrouver Guadalajara.
Lottie Brickert
(1) Musicien en costume traditionnel de cavalier mexicain avec sombrero qui joue de la musique populaire
Quelle merveilleuse et poétique évocation ! Le tequila est inspirant !
Le moût, le moût! n’a rien de mou…
Jolie promenade au coeur du Mexique :ça donne vraiment envie de voyager. Merci!
Merci de votre correction ! J’ai du être prise d’un sacré coup de mou (et non moût) pour laisser passer ça !
Cordialement, Lottie
Merci pour cette balade, une belle idée de voyage culturel
Merci pour ce splendide voyage sans masque ni modération …
Apparemment, le chauffeur du minibus n’a pas été convié aux dégustations matinales… Il aurait été vraiment dommage pour nous qu’au détour d’une route mexicaine, les dieux rappellent prématurément ces goûteurs matinaux de leur nectar, ce qui nous aurait privé d’un compte-rendu de voyage poétique et bien instructif.