Si le vinyle fait son grand retour depuis quelques années, le CD s’accroche en deuxième position, et le monde lyrique tout entier pousse des cris d’extase depuis la sortie du disque de notre baryton-Verdi national et international, le marseillais Ludovic Tézier. Rien d’anodin à ce qu’il ait attendu d’avoir 53 ans pour sortir son premier disque solo, lui qui aurait pu le faire depuis longtemps. Mais il se distingue depuis toujours par son respect absolu de son «instrument», comme on dit, par une intégrité quasi unique dans ce monde pressé et stressé. Une intégrité doublée d’une ascèse, car on ne triche pas avec la voix à l’opéra. Lors d’une interview récente dans Le Monde, le 26 février dernier, à propos de la sortie de ses œuvres lyriques complètes chez Warner-Classics, Natalie Dessay va jusqu’à parler d’une vie de «sacrifice», à laquelle elle a mis fin à 48 ans. L’opéra exige une vie de rigueur et d’ascèse, en tout cas, ce qui nous rend béats d’admiration devant ce premier CD Tézier. Bien sûr les barytons ont cet avantage sur les ténors de ne pas craindre comme eux le passage du temps souvent cruel pour le registre léger et aigu, comme le démontre Placido Domingo, brillamment reconverti au fil des ans de ténor à baryton, jouant les prolongations à près de 80 ans.
Et puis Verdi n’est-il pas le compositeur qui a offert al baritono ses lettres de noblesse ? Le CD s’appelle «Ludovic Tézier Verdi», cela suffit. Tout est dit, car on sait que le maestro a donné un relief nouveau aux barytons jusque-là cantonnés aux rôles de méchants opposés au valeureux ténors. C’est d’ailleurs la raison que donne notre baryton-Verdi pour avoir pris tout son temps : il voulait se sentir capable non pas seulement de chanter (magnifiquement) le Rodrigo de «Don Carlo», le comte Di Luna du «Trouvère», le Renato du «Bal masqué», Rigoletto, Macbeth, Falstaff et autres, mais aussi d’interpréter leurs rôles si divers. Chaque mot, chaque consonne, chaque voyelle, dit-il, doivent être chargés d’expressivité. Il a même une théorie toute personnelle à ce sujet : Verdi ayant une voix de baryton, il pense que l’enfant de Busseto a beaucoup mis de lui dans l’écriture de cette tessiture, et que «Simon Boccanegra», par exemple, est quasiment une autobiographie déguisée. On peut aussi penser au personnage de Rodrigo de «Don Carlo» sur lequel se termine le CD, personnage parfaitement altruiste, qui se sacrifie au sens propre pour son Carlo.
Noblesse du visage de l’interprète, noblesse du timbre, expressivité du chant, tout y est, en effet, dans ce CD Tézier qui fait dire au critique de Forum Opéra : «Dieu, que c’est beau !». Forum Opéra étant le meilleur site français dédié au lyrique, et gratuit de surcroit.
Outre les CD, par ces temps privés de salles de spectacles soi-disant «non essentielles», nous pouvons plus que jamais étancher notre soif musicale grâce la radio et le petit écran. Ce peut être même, pour certains, l’occasion de faire d’innombrables découvertes. Prenons par exemple les chaînes Mezzo et Mezzo Live HD, dédiées au classique, au lyrique et au jazz. Certes elles sont payantes, mais ce sont des sources inépuisables de spectacles de premier plan, de concerts comme d’opéras (même si ces derniers ne sont pas assez souvent renouvelés), sans oublier les ballets.
Quel que soit le moment de la journée ou de la nuit, on tombera sur les plus grands chefs d’orchestre, les meilleures formations mondiales, les plus illustres maisons lyriques (surtout européennes). Voir de près un maestro en action est un spectacle en soi, puisque aucun n’a la même gestuelle, et qu’on peut chaque fois s’émerveiller de ses super pouvoirs. Comment maîtrisent-ils des œuvres si complexes ? Comment s’imposent-ils à cette masse de femmes et d’hommes ? Ces temps-ci, on peut notamment voir et revoir le merveilleux jeunot Raphaël Pichon (voir mon article du 9 novembre 2020) faisant naître, sans baguette, de ses longs bras comme bénissant son ensemble Pygmalion, toutes les saisissantes beautés de la «Messe selon Saint Mathieu» de Bach. Ce qui rappelle ce documentaire où les musiciens de la prestigieuse Philharmonie de Berlin, tentant de définir l’art de leur maestro Sir Simon Rattle, finissaient par avouer : «Son cerveau ne doit pas être comme le nôtre».
Et pourtant les grands musiciens eux-mêmes, défilant sur l’écran, nous paraissent eux aussi doués de super cerveaux, d’autant plus que la caméra, zoomant sur tel ou tel soliste, fait littéralement naître la musique sous nos yeux. A signaler sur ces deux chaines les fameuses sessions entre deux spectacles appelées «Intermezzo», pot-pourri musical d’une rare qualité.
Autre source de délice pour les frustrés d’opéra que nous sommes, la chaîne Arte Concert, qui diffuse d’ailleurs tous les genres musicaux. L’écran de l’ordinateur est encore plus petit que celui de la petite lucarne, me direz-vous, mais rien n’arrête le lyricomane, tout lui est source de bonheur ! On peut donc voir et revoir la dernière sensation de l’Opéra Bastille, cette «Aida» enregistrée devant une salle vide, diffusée le 21 février dernier et encore visible jusqu’au 20/8/2021. Une production qui a fait couler beaucoup d’encre, comme on dit, et vous pourrez en juger vous-même en voyant des marionnettes grandeur nature suivre ou précéder comme leur ombre Aida ou son père, le roi éthiopien déchu Amonasro, notre Ludovic Tézier en personne. Et la splendeur des voix de Jonas Kaufmann en Radamès et de Sondra Radvanosky en Aida ne pourront pas vous échapper.
Bien d’autres productions nous attendent, telle la «Carmen» d’Aix-en-Provence de 2019, ou «Hippolyte et Aricie» de Rameau capté à l’Opéra Comique le 14 novembre dernier, sous la direction de l’impétueux Pichon.
Notons aussi que les temps sont propices à l’écoute de la radio, notamment aux deux émissions quotidiennes sur France Musique, du lundi au vendredi, de ces deux marathoniens du micro : «Arabesques» animée par François-Xavier Szymczak , au goût très sûr, et «Relax !» de Lionel Esparza, grand raconteur éblouissant de fantaisie !
Et pour les lyricomanes comme pour les néophytes, notons enfin le nouveau CD «Cellopera» de l’excellente violoncelliste française Ophélie Gaillard, qui s’est amusée à transcrire pour son instrument les grands airs d’opéra qu’elle aime depuis toujours.
Lise Bloch-Morhange
Bonjour Lise,
Vous nous poussez à la consommation, en vantant tant de belles œuvres et de beaux interprètes. En plus des CD à acheter, des abonnements aux chaînes de musique classique, il va bientôt falloir que j’achète une télévision ! Déjà le rendu d’un concert, encore plus d’un opéra, sur petit écran n’est pas terrible, mais sur ordinateur c’est encore moins enthousiasmant. Sur grand écran au cinéma, c’est un peu mieux, mais visiblement ce n’est pas pour tout de suite…
Grâce à vous j’ai découvert (en allant m’informer sur Wikipédia) ce qu’est un baryton-Verdi, parmi les barytons léger, Martin, lyrique, dramatique, basse, sans parler du baryténor. Cela montre l’étendue des nuances qu’il faut au chanteur pour être « le » bon interprète d’une œuvre donnée. Nuances qui en plus, comme vous le signalez, changent avec l’âge, mais c’est plutôt une bonne chose, pour se renouveler.
Bonne journée
Bonsoir Yves,
ne faut-il pas tout essayer avant de se faire une idée ou un jugement?
Plus on connait, plus on écoute et regarde, plus on découvre de nouvelles beautés aux grandes oeuvres lyriques ou classiques…
Merci de votre réactivité!
dans l ‘opéra les hommes sont « égaux » aux femmes!!!quel bonheur!!!
Je ne sais pas s’il s’agit d’égalité… On considère généralement que l’opéra célèbre avant tout les femmes… voir notamment La Somnambula, Norma, Aida, Tosca, Madame Butterfly, etc, etc.. mais il est vrai qu’il y a aussi beaucoup de grands rôles de ténors et de barytons-Verdi … Sans oublier les grands ténors wagnériens…
dommage d’avoir omis de citer Frédéric Chaslin, le chef d’orchestre … il a autant d’importance dans ce disque
C’est un excellent chef en effet, mais ce n’est pas lui qui a façonné la voix de notre grand baryton-Verdi!