L’autre jour, j’ai fait un truc fou, je suis allée à l’Opéra ! Mais comment est-ce possible me direz-vous puisque tous les lieux de culture sont fermés en France ? Il ne s’agissait pas non plus d’une captation diffusée en direct sur écran mais d’un vrai spectacle dans une salle obscure avec de vrais artistes sur scène et même un orchestre entier, celui de Picardie sous la direction d’Arie van Beek. J’ai pu vivre ce moment exceptionnel grâce à l’Opéra de Lille qui avait invité ce jour là quelques professionnels à la création de « Bastien et Bastienne », le premier opéra d’un jeune Mozart de 12 ans et dont la première et unique représentation du vivant du compositeur eu lieu à Vienne en 1768. Je mesure le privilège qui m’a été donné et je me propose de le partager avec vous avant que vous ne puissiez à votre tour découvrir ce réjouissant spectacle familial qui tournera quand des jours meilleurs s’annonceront.
J’ai oublié l’ambiance survoltée des soirées de première et j’ai plongé avec délice dans cette musique dont la joie revigorante nous apparaît plus que jamais nécessaire. Les artistes aussi ont dû imaginer une salle pleine d’enfants, puisque cela aurait dû être le cas cet après-midi-là, à 14h30. À la place, un parterre clairsemé respectant les mesures sanitaires de distanciation physique les attendait avec l’avidité de ceux qui ont été affamés.
Eh bien, nous ne fûmes déçus ni par l’interprétation musicale ni par la mise en scène d’une histoire de deux ados amoureux somme toute plus que simplissime. Bastienne est bergère et se croit délaissée par son amoureux qu’elle accuse de la tromper pour une châtelaine friquée. Bastien, aussi berger de son état, ne comprends pas pourquoi Bastienne fait mine de le délaisser et songe au suicide. Mais heureusement, le vieux magicien Colas (Sreten Manojlović) délivre à l’un et à l’autre les bons conseils pour se réconcilier et tout est bien qui finit bien. On imagine aisément le jeune Mozart puisant dans ses expériences toutes neuves de chassé croisé amoureux, sujet d’ailleurs qui le séduisit toute sa vie. Que l’on songe aux « Noces de Figaro » à « Cosi fan tutte » et même à « La Flûte enchantée » dont j’ai cru voir ici se dessiner les prémices.
Cette jolie petite intrigue n’a pas pris une ride, mais comment la rendre contemporaine aux yeux des jeunes en 2021 ? Pour mener à bien cette entreprise de remise au goût du jour, le parti pris de Sylvie Baillon, metteuse en scène et directrice du Centre de la marionnette des Hauts-de-France (Le Tas de Sable – Ches Panses Vertes) a été de faire appel à des marionnettes et d’adapter le texte au langage des ados d’aujourd’hui. Bastienne la «Sheepsitter» est dévastée et à deux doigts de la dépression. « Il faut que je vous dise » dit-elle en s’adressant à Colas : « Sheepsitter, ça ne rapporte pas tout de suite, je viens juste de monter ma boîte et c’est toujours un peu compliqué la première année. J’ai fait ma demande de RSA, mais c’est un vrai bazar avec les statuts quand on essaye de trimer pour s’en sortir. (… ) Tout le monde sait qu’il m’a larguée ! Mes copines, mes voisins, tout le quartier. Quelqu’un l’a posté sur les réseaux, ça a été partagé un paquet de fois, c’est en train de devenir viral ! Et Bastien n’est pas en reste (…) Bastienne! Ouhouh ! Bastienne ! Ben qu’est-ce qu’y t’arrive ? Pourquoi tu ne me réponds pas ? T’as perdu ta langue ? Tu me fais la tête, ou quoi ? Tu ne veux plus de moi, c’est ça ? Je suis grave amoureux de toi, je te promets. Je t’aime trop, tu me rends ouf ! ». Tous les dialogues sont à l’avenant. Depuis le temps que l’on nous dit que les histoires d’amour sont universelles et intemporelles ! Sûr que la jeune génération pourra facilement s’identifier à Bastien et Bastienne et par là-même découvrir Mozart.
Des marionnettes en papier quasi grandeur nature s’insèrent dans le spectacle, manipulées à vue pendant la première partie du spectacle. « Bastien et Bastienne » sont doublés par leur personnage de papier symbolisant la fragilité de l’adolescence, puis les abandonnent pour muer vers l’âge adulte. Je lis « Bastien et Bastienne « comme « un parcours initiatique, une métaphore du passage de l’enfance à l’âge adulte, à travers l’apprentissage du dépit amoureux » nous dit Sylvie Baillon, la metteuse en scène.
Petit clin d’œil au genre de la Pastorale en vogue au XVIIIe siècle mais avec un soupçon d’inquiétude bien contemporaine évoquant une nature menacée, l’orchestre déployé sur toute la scène de l’opéra autour d’un grand arbre solitaire et dénudé, se découpe sur un écran vidéo géant où défilent des images de nature et notamment de ressac (Christophe Loiseau).
Inspirés du Cosplay bien connu des amateurs de mangas, les costumes signés Sophie Schaal – assemblage hétéroclite et complétement décalé aux couleurs criardes qui respirent la gaîté et la joie de vivre – sont tout bonnement ébouriffants et participent à la bonne humeur et à l’humour permanent qui traverse ce spectacle d’un bout à l’autre ! On imagine sans peine que Mozart aurait adoré porter celui de Bastien. Côté interprètes, mention toute spéciale à Marthe Davost (Bastienne) et Maxime Melnik (Bastien) qui font rayonner leur personnage aussi bien vocalement que théâtralement.
Françoise Objois
Opéra marionnettique, tout public à partir de 8 ans
Représentation pour les professionnels ayant eu lieu le 15 janvier 2021
Coproduction Opéra de Lille et Théâtre Impérial de Compiègne En partenariat avec la Fondation Royaumont
merci pour votre joyeux message
dans l’espoir de tournées bientôt ! on croise les doigts !