Vœux irréprochables

Nous vivons désormais en un temps d’insécurité sociale. L’acte en apparence le plus anodin, l’écrit le moins équivoque peuvent entraîner des conséquences funestes pour leur auteur. Prenons l’exemple des vœux de nouvel an. Sous le prétexte du passage d’un millésime au suivant, il est d’usage d’adresser à certaines de ses relations des congratulations masquant sous le lyrisme des termes, l’insignifiance du propos. Et patatras. Quelques jours plus tard, un destinataire vous assigne devant le tribunal judiciaire, sur le fondement de l’article 9 du code civil protégeant la vie privée. Mieux, l’association représentative d’une minorité à laquelle vous ignoriez son appartenance se saisit de l’article R 625-7 du code pénal, et porte plainte contre vous pour provocation non publique à la discrimination.
L’un de vos correspondants a-t-il basculé le contenu de votre missive, dont vous n’imaginiez pas les sous-jacentes, sur les réseaux sociaux, et vous allez rapidement découvrir l’étendue de votre ignominie, comme la détestation qu’elle soulève dans le peuple des pseudonymisés.

Seriez vous professeur des universités que va débuter un autre genre d’épreuves. Lors de votre prochain cours, un groupuscule véhément empêchera l’entrée de l’amphi aux étudiants. Puis le doyen, ambigu, vous convoquera pour vous exprimer l’embarras que causent vos égarements à la communauté enseignante. Plusieurs de vos collègues vous éviteront soigneusement, d’autres tiendront à manifester à la section disciplinaire du conseil académique leurs distances vis-à-vis de vous. Il ne vous restera plus qu’à demander votre mutation, sous le nom de votre mère, au campus de Troubiran, en Guyane, avec l’impérieuse nécessité de vous y faire discret.

Dans le but de vous éviter semblables mésaventures, voici un modèle à recopier dont la neutralité judiciaire a été validée pour la France, par le cabinet parisien Rousseau et Gosset, pour les États Unis par Watson, Holmes, Moriarty and associates, Washington (DC).

XXXXXX ce 1er Janvier 2021

Cher.e Ami.e

Permettez moi de vous adresser, sans aucune obligation explicite ou implicite de votre part, mes vœux à l’occasion du solstice d’hiver, symbole du renouveau.
Je vous souhaite de vivre ce moment :
– en adéquation avec la tradition, la religion ou les valeurs existentielles de votre choix.
– dans le respect de la tradition, la religion ou les valeurs existentielles d’autrui, ou dans le respect de son refus, en la circonstance, de se rattacher à une quelconque tradition, religion ou valeur existentielle, ou de son droit de manifester son indifférence aux fêtes populaires programmées, dès lors que cette indifférence n’affecte pas le « vivre ensemble ».

J’espère que l’An 2021 vous apportera :
– la santé, ceci ne supposant de ma part aucune connaissance particulière des informations contenues dans votre dossier clinique, ni l’intention de m’immiscer dans le colloque singulier que vous avez établi avec votre médecin traitant.
– la prospérité, étant entendu que j’ignore tout de vos revenus, de votre taux d’imposition, et du montant des taxes et cotisations auxquelles vous pourriez être assujetti.e.
– le bonheur, au sens subjectif, c’est-à-dire la satisfaction des désirs correspondant à votre identité personnelle. Il va de soi que ce souhait ne me conduit nullement à connaître ou tenter de connaître la nature et les caractéristiques de celle-ci. Pour toute interprétation du concept « bonheur », se référer au traité de Henri Bergson, « Les deux sources de la Morale et de la Religion ».

Croyez, Cher.e Ami.e, en ma parfaite considération.

SIGNATURE

La présente carte de vœux est complétée par cette annexe explicative. Toute action en responsabilité basée sur une copie ne comportant pas l’intégralité de celle-ci sera réputée mal étayée.

I/ La notion d’année nouvelle est fondée ici sur le calendrier grégorien, le plus courant dans mon lieu de résidence. La légitimité des autres modalités d’évaluation du temps qui passe utilisées par d’autres sociétés, cultures ou groupes n’est pas mise en cause, ni la supériorité du calendrier grégorien proclamée. Le fait de ne pas avoir pris en référence la fuite du Prophète à Medine, ou le livre de la Genèse (Bécherit) ne constitue en aucun cas une prise de position dans le conflit israélo-palestinien.

II/ L’acceptation de votre part des présents vœux ne vous oblige à aucune réponse écrite. Un délai de 15 jours ouvrables après envoi ( le cachet de la poste faisant foi) sans opposition formelle met fin à toute contestation postérieure.

III/ Les présents vœux sont insusceptibles de clarification ou de retrait. Ils sont librement transférables à quiconque, sans indemnité ni droits de mutation. Leur reproduction est autorisée. Leur validité est garantie pour l’année civile. À l’expiration de cette période, leur renouvellement n’a aucun caractère obligatoire, et reste soumis à la libre détermination de l’auteur.

IV/ Ils sont adressés sans discrimination préalable relative aux notions d’âge, de genre, d’ethnie, d’origine, de communauté, de pratiques sexuelles, de régime alimentaire, de conviction religieuse ou d’appartenance politique, philosophique, syndicale, associative susceptibles de caractériser les destinataires ou d’être revendiquées par eux.

V/ L’absence totale ou partielle de réalisation des dits vœux n’ouvre pas droit à compensation. Tout effet positif de leur part est exempt de toute reconnaissance affective comme monétaire.

VI/ Le signataire de la présente décline toute responsabilité quant aux griefs qui pourraient être allégués par tel ou telle sur le fait de ne pas avoir été destinataire de ces vœux.

En foi de quoi persiste et signe.

Jean-Paul Demarez

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5 réponses à Vœux irréprochables

  1. Boccaccio Catherine dit :

    Excellent! Merci pour ce moment de dérision

  2. Dupuis Bernard dit :

    merci pour ce morceau de bravoure .on souhaiterait que de tels messages soient aussi contagieux que le SARS-CoV-2 et les comportements visés combattus avec la même détermination…. ce commentaire trivial n’affecte en rien le petit bonheur matinal que nous a offert la dérision portée avec talent (et une évidente connaissance du Droit ).

  3. guillemette de Fos dit :

    Un texte qu’on imagine aussi jouissif à la rédaction qu’à la lecture !

  4. p dit :

    ouais… Les Soirées de Paris ont un rédacteur qui lit trop Causeur…
    Pur humour de droite… voire de…
    Les censeurs sont donc les opprimés… Le renversement de la charge de la preuve est l’ultime tour de passe passe des puissants contre les faibles.
    Quand il a écrit la Tache, Philip Roth était bien plus subtil…

  5. Frédéric Maurel dit :

    🙂 !! / FML

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