Si la lecture au long cours est en tout point salutaire (1), les bonnes séries télévisées s’avèrent également un excellent dérivatif à la morosité. Ainsi, pour ceux qui ne l’auraient pas encore vue, la mini-série HBO “Big Little Lies”, diffusée actuellement sur OCS, va-t-elle bien au-delà de son office de divertissement. Visionnée sur un écran HD, cette œuvre télévisuelle a une réelle tenue cinématographique. À une intrigue très bien ficelée et un jeu de grande qualité, avec un prestigieux casting, s’ajoutent une réalisation et un montage tout aussi soignés qu’originaux. Une mini-série qui relève du 7ème art !
Le générique très stylé de “Big Little Lies” est déjà en soi une promesse. Sur une route longeant la mer, accompagnées par la douce mélodie de Michael Kiwanuka “Cold Little Heart”, cinq femmes sont filmées de trois-quarts dos, au volant de leur voiture, leurs enfants sur la banquette arrière. Aux vues à couper le souffle de l’océan Pacifique s’entremêlent des images indistinctes de scènes intimes tout juste suggérées. Dans une autre séquence, les gamins s’avancent résolument en file indienne, regard face caméra, s’amusant de l’objectif. Un peu après, leurs mères, en tenue de bal, font de même. Les premiers éléments, tant narratifs que visuels, sont d’ores et déjà là : un aperçu des principaux protagonistes, la côte californienne où se déroule l’action, la soirée du mystérieux “accident”, une narration non linéaire, un cadrage original, une bande son remarquable et très présente…
Mais de quoi s’agit-il au juste ? Dans la petite ville très chic de Monterey, c’est la rentrée des classes. Chloe Mackenzie, les jumeaux Max et Josh Wright, Skye Carlson, Amabella Klein et le nouveau venu Ziggy Chapman font leur entrée au CP. Un incident survient dès la première journée : Amabella a été maltraitée par un de ses camarades. Devant l’insistance de la maîtresse à connaître le coupable, la petite fille désigne, devant tous les enfants et mères réunis à la sortie de l’école, le nouveau venu. Celui-ci dément l’accusation. Si l’incident et la méthode divisent aussitôt les familles, rien ne laisse entendre qu’Amabella dit la vérité. Premier mensonge ? Premier suspense…
Bien que Madeline Mackenzie (Reese Witherspoon, ci-contre) et Celeste Wright (Nicole Kidman) soient des amies très proches et se lient aussitôt d’amitié avec Jane Chapman (Shailene Woodley), la maman du petit Ziggy, aucune d’elles n’est pourtant prête à confier ses secrets. Et c’est peu dire que la vie de chacune est loin d’être un long fleuve tranquille… Petit à petit, ces secrets feront surface. A ce trio s’ajoutent Renata Klein (Laura Dern), la mère de la petite Amabella, et Bonnie Carlson (Zoë Kravitz, oui la fille de), la deuxième épouse du premier mari de Madeline.
Quelques mois plus tard, ces cinq femmes vont se trouver témoins d’un tragique accident survenu à la fête de l’école. Et là encore : crime ou accident ? Mensonge ? Secret ?
Flashbacks, projections réelles ou rêvées ne nous seront d’aucune aide. Et c’est là que nous pouvons saluer la qualité et l’intelligence de la réalisation car nous ne saurons rien avant les toutes dernières minutes du dernier épisode alors que la situation nous est exposée dès le début. Le premier épisode s’ouvre sur une scène de crime. Ou d’accident. La police est sur les lieux. Un gros plan sur une femme flic nous montre que celle-ci n’est pas dupe. La victime, elle, n’est pas réellement visible. Homme ou femme ? Qui est mort ? Seule certitude : l’événement a eu lieu pendant la fête de l’école. Les parents sont déguisés et un sentiment de panique et d’effroi se lit dans les regards. Puis, dès la scène suivante et tout au long des sept épisodes, des témoins se feront entendre. Des voix anonymes de Monterey. Elles évoqueront les principaux protagonistes, la vie à Monterey, à l’école, ragots et potins seront de la partie sans que nous sachions pour autant qui est la victime. L’esprit en alerte, nous guetterons les temps de conjugaison avec la plus grande vigilance pour essayer d’y déceler un indice, mais en vain. Ignorant l’identité de la victime, il nous est d’autant plus difficile de faire des suppositions sur celle du coupable. Ou du mobile. Nous nageons en eaux troubles.
Si cette intrigue policière a le don de nous tenir en haleine, c’est avant tout par le portrait au vitriol d’une certaine bourgeoisie californienne qu’excelle la série de Jean-Marc Vallée. En disséquant cette société au scalpel, si typiquement américaine, elle nous offre alors un panel de victimes et de coupables idéals. Car cette description est terrifiante à bien des égards. Ces parents qui semblent vivre la vie de leurs enfants par procuration, transférer leur ego sur leur progéniture, sont tout simplement effrayants et d’une puérilité affligeante. Le paraître et l’argent roi en deviennent parfaitement risibles.
Mention spéciale à Jeffrey Nordling et Laura Dern (ci-contre) dans les rôles des parents de la petite Amabela. Laura Dern en “self-made woman” est tout aussi criante de vérité qu’insupportable. Insupportable de drôlerie également. L’égérie de David Lynch offre là une brillante interprétation d’arriviste hystérique. Les fêtes qu’elle donne pour l’anniversaire de sa fille sont du grand délire ! On se croirait à Las Vegas. Bienvenue au royaume de l’épate et de la surenchère. Dans le même genre, la fête de l’école où les parents sont invités à se déguiser en Elvis et Audrey Hepburn et à se produire sur scène s’avère aussi un grand moment de superficialité.
Mais cette futilité peut être trompeuse et la série aborde des sujets de société aussi graves que celui de la violence faite aux femmes.
Et c’est là que le casting cinq étoiles a toute son importance car les actrices interprétant les rôles principaux sont tout simplement extraordinaires. Derrière leur attitude ostentatoire, ces femmes laissent peu à peu entrevoir leurs failles et nous deviennent terriblement humaines. Leur jeu est fait de multiples strates qui permet de révéler une nature bien plus complexe qu’au premier regard. Les scènes entre Nicole Kidman et la psy sont notamment d’une intensité qui force l’admiration.
La deuxième saison de la série n’a presque rien à envier à la première. Elle permet d’approfondir encore davantage les différentes personnalités et, toute la vérité ayant été faite sur les secrets et mensonges, de rebondir sur une seconde intrigue, conséquence directe de la première et tout aussi haletante. L’arrivée du personnage de Mary Louise Wright, interprété magnifiquement par Meryl Streep, n’est pas pour arranger les choses. Mais nous n’en dirons pas plus. Le bruit court que Nicole Kidman aurait donné son accord pour une troisième saison et, au vu de la scène finale, nous ne pouvons que l’en remercier.
Isabelle Fauvel
(1) À propos de « lecture au long cours », voir ma chronique du 11 juin “Le temps de lire Proust”
Signalons à ce sujet que la Comédie-Française, dans son programme « Comédie d’automne », propose du mardi au samedi en direct à 19h sur Facebook (puis en « replay » sur YouTube et en « podcast » sur Soundcloud), la lecture de « À la recherche du temps perdu » par les Comédiens-Français en relais soir après soir. Une lecture des plus agréables.
“Big Little Lies” est une série télévisée américaine créée et réalisée par le réalisateur-monteur et scénariste québécois Jean-Marc Vallée, d’après le roman de Liane Moriarty. Réalisée en 2017 et 2019, elle est composée de 2 saisons, chacune de 7 épisodes. Elle a pour interprètes principaux : Reese Witherspoon, Nicole Kidman, Laura Dern, Shailene Woodley, Zoë Kravitz, Meryl Streep…