Une fois n’est pas coutume, mais il est rare que la génération des cadets préconise le retour aux techniques de leurs parents ou grands-parents. L’incontestable renouveau du disque vinyle est un de ces exemples. La nouvelle vogue de ces microsillons (que l’on n’appelait pas encore «albums») ne semble pas un simple goût pour le vintage, mais une vraie demande qui s’affirme d’année en année. On peut s’en étonner mais, même si personne ne l’avait prévu, les raisons n’en sont pas si mystérieuses. À l’époque de la dématérialisation, il y a d’abord le goût de l’objet, du bel objet, de la jolie pochette qui participe au plaisir et alimente les désirs de collectionneurs (on ne compte plus les foires aux disques). Il y a surtout la qualité du son du microsillon que chacun reconnaît aujourd’hui supérieure à celle du disque-compact et, d’une façon générale, à celle de tout enregistrement numérique.
En son temps, l’arrivée du disque-compact avait pourtant été considérée comme une véritable révolution. La nouvelle technique était jugée comme proche de la perfection. En 1983, on organisa des voyages de presse pour les journalistes spécialisés afin de visiter les usines de Hanovre et ses ateliers hors poussière d’où sortaient ces petits bijoux de technologie, inusables, incassables, offrant près de 80 minutes de musique pure. Le succès commercial fut au rendez-vous. Au point qu’avec une totale imprudence, nombreux furent ceux qui se débarrassèrent à la fois de leurs «vieux» microsillons et de leur «vieille» platine. Ils pensaient être de leur temps.
Une fois l’effet Pygmalion dissipé, on reconnut quelques années plus tard que le CD n’était pas aussi robuste qu’on le disait. Et que cela manquait un peu de dynamique, un peu de chaleur, un peu de présence, un peu de… Bref l’émotion n’était pas toujours au rendez-vous. On racheta parfois à prix d’or les galettes noires et leurs pochettes artistiques !
Cette petite page d’histoire contemporaine a fait oublier la «vraie» révolution du siècle précédent, celle de l’arrivée de ce fameux microsillon qui détrôna définitivement (et cette fois sans retour en arrière possible) le disque 78 tours. Contrairement à son prédécesseur, le microsillon ne cassait pas et offrait une durée très largement supérieure (20 à 30 minutes par face contre 3 à 5 sur l’ancien support) en même temps qu’une qualité sonore inconnue jusqu’alors. Le disque microsillon devint la norme. On commença à parler de haute-fidélité.
Évoquer les débuts du microsillon permet de mettre l’accent sur l’extraordinaire succès d’une société de production et de diffusion de disques qui, dans les débuts de la deuxième moitié du XXe siècle, a permis l’initiation à la musique classique de très nombreux Français. Il s’agit de la Guilde Internationale du disque (GID) dont le logo (les mains d’un chef d’orchestre tenant la baguette) est une image encore reconnue par certains mélomanes. Version française de l’américaine MMS (Musical Masterpieces Society, qui avait notamment signé le premier enregistrement mondial des «Quatre Saisons» de Vivaldi), cette Guilde pratiqua à partir de 1954 une politique commerciale très agressive et assez nouvelle pour l’époque. Elle fournissait aux adhérents à la fois l’indispensable électrophone, et pour une somme modique (5 francs, environ 11 euros de nos jours) un disque considéré comme représentatif du catalogue maison. Ensuite, de nouveaux enregistrements étaient proposés chaque mois, sans obligation d’achat.
Le succès fut impressionnant. Dans les villes et villages les plus reculés, on découvrit ainsi l’ouverture du Carnaval Romain de Berlioz, la Fantaisie Impromptu de Chopin, encore un Concerto pour deux trompettes de Vivaldi… Outre la garantie d’enregistrements «d’une perfection inégalée», la Guilde veillait à la qualité artistique : les chefs-d’œuvres, sélectionnés «par des comités composés des plus grands musicologues et musiciens du monde entier», étaient interprétés par des musiciens choisis «en fonction de leur tempérament artistique et leur compréhension des ouvrage sélectionnés».
Ce n’était pas toujours un simple argument publicitaire, puisque dans l’abondant catalogue, on trouve de grands noms comme le chef Pierre Monteux, les pianistes Lily Kraus et Vlado Perlemuter, ou encore le violoniste Christian Ferras. Le succès public incita les responsables à se lancer dans des productions plus importantes, comme l’intégrale des quatuors de Beethoven interprétés par le quatuor Pascal. Ce coffret de dix disques LP (Long Playing) fut récompensé en 1957 par un Grand prix du disque.
L’activité de la Guilde Internationale du disque dura jusqu’en1980. La télévision couleur et le magnétoscope commençaient à équiper la plupart des maisons. Avant d’en arriver là, les musiques de la GID s’étaient subrepticement introduites dans de nombreux foyers. Pour ceux qui ne pratiquaient pas d’instrument, ces disques, avec quelques rares émissions de radio, avaient été pendant toutes ces années la meilleure et parfois la seule façon d’accéder à la musique classique.
Gérard Goutierre
Cher Gérard, merci pour ce joli rappel. Je confirme l’engouement des adolescents pour le vinyl.
merci je vais partager avec une petite fille musicienne…