Ce documentaire appelé en anglais «The social dilemma» (Le dilemme social), financé et diffusé par Netflix (sous le titre français «Derrière nos écrans de fumée»), veut nous avertir. Le ton est à l’urgence et à la persuasion. Réveillez-vous ! Il y a urgence ! Plus qu’urgence, même !
En préambule, une inscription blanc sur noir sur l’écran, tirée de l’«Antigone» de Sophocle: «Rien d’excessif ne s’insinue Dans la vie des mortels qui ne l’expose au malheur.» Qu’avons-nous donc fait pour nous exposer au malheur ?
Il faut nous habituer à la structure du récit qui se déroule sur deux plans puis trois plans entremêlés sans aucune transition, originalité formelle tendant à nous montrer que tout s’enchaîne, qu’il n’y a plus de séparation entre les mondes parallèles qui nous sont présentés.D’une part, toute une série d’anciennes et anciens génies de «la Tech», comme ils appellent le monde des grandes sociétés de l’internet et des réseaux sociaux, GAFA et autres. Ils nous racontent leur expérience dans ce milieu : ils sont plutôt jeunes, autour de la trentaine ou la quarantaine, et sont filmés assis sur une chaise, face à la caméra. Pour illustrer leurs propos, on passe sans transition à des scènes fictionnelles se déroulant dans une famille américaine typique avec deux adolescents, puis trois. Puis on revient aux génies de la tech, puis à la famille typique. Toujours sans transition.
Cette structure un peu confuse demande une réelle attention, d’autant qu’une troisième va bientôt s’y ajouter, celle des manipulateurs de l’ombre en pleine action.
Ces cracks du Net nous expliquent qu’après avoir adoré participer à cette formidable expansion de la Silicon Valley, ils se sont aperçus, il y a une dizaine d’années, que «tout avait pris trop d’ampleur».
Ces gens ont réalisé que peu à peu, les bienfaits de l’Internet et des réseaux sociaux s’étaient dilués dans un système consistant à enrichir les géants du Net en nous manipulant. Le but étant de nous faire passer de plus en plus de temps devant l’écran, toujours plus, afin de nous transformer «en produits vendus aux publicitaires.»
Nous savons tous que les géants du Net et autres réseaux sociaux ont pris une telle dimension qu’ils échappent maintenant à tout contrôle, mais ces anciens fous du Net, ces repentis en quelque sorte, soulignent que le danger a pris une autre dimension plus insidieuse. En vendant leurs utilisateurs, les entreprises de la Silicon Valley ont fait de nous des «zombis abreuvés de publicité», dénonce un des premiers investisseurs en capital-risque, ancien hyper capitaliste prêchant désormais la croisade contre l’Internet et autres devenus fous de clics et d’argent.
Car il s’agit bien d’une croisade pour ces convertis : «Nous ne nous imaginions pas cela en créant Twitter il y a douze ans», dit l’un de ses inventeurs. «Là-bas, j’avais toujours l’impression d’œuvrer pour le bien», dit un autre pionnier repenti de la Silicon Valley.
Regardons cette famille américaine typique, avec une fille et un fils adolescents, et voyons comment ils sont devenus accros à leur téléphone portable, comme tous les jeunes de leur époque. Regardez l’ado arrivé à son collège, le nez fourré dans son portable devant son vestiaire. Regardez-le s’asseoir avec un copain, et cette fille assise juste derrière lui. Veut-il recevoir sa photo ? Clic, c’est parti ! Et elle, le veut-elle ? Clic, parti ! Ils sont maintenant assis dans la classe, il reçoit un message lui demandant s’il veut envoyer cette photo à ses copains. Clic, c’est reparti !
Bien entendu, nous savons depuis longtemps que la moindre demande sur Internet, le moindre clic, la moindre photo envoyée à nos copains sur WhatsApp ou Twitter, sont enregistrés. Mais nous ne mesurons pas l’ampleur du phénomène, nous avertissent ces Cassandre. Regardez donc ce qui se passe quelque part dans l’univers de la Tech : l’avatar de l’adolescent est représenté en trois dimensions dans l’espace, et autour de lui, trois manipulateurs ne cessent de lui proposer des incitations à cliquer, encore et toujours. Tantôt ça marche, tantôt pas, mais ils sont sans cesse à l’attaque et chaque fois que ça marche, bingo, ils glissent une publicité !
Attention, préviennent les convertis repentis : nous sommes entrés dans un capitalisme de surveillance. Nous sommes sans cesse observés, enregistrés, suivis, mesurés. Ces manipulateurs de l’ombre savent tout sur vous, à tout instant : si vous êtes seul, déprimé, combien de temps vous venez de regarder cette vidéo, si vous êtes avec vos copains, quels copains, etc.
Cette formidable accumulation de données rendue possible grâce à de formidables algorithmes permet maintenant de franchir une nouvelle étape : modifier nos pensées, nos idées, et même ce que nous que nous sommes et ce que nous serons. «Jamais dans l’histoire humaine, pointe une spécialiste, on avait réuni autant de données, et jamais dans l’histoire humaine, on a connu des sociétés aussi riches que les GAFA et autres».
Vient alors un intéressant passage affirmant «Toute technologie assez avancée n’est pas différenciable de la magie», développant les liens entre haute technologie et magie. Il s’agit de cette sorte de magie pratiquée par les mentalistes, basée sur la pénétration de certaines parties de notre esprit dont nous sommes inconscients. Un crack du genre enseigne à Stanford, et tous les pontes de la Silicon Valley ont suivi son cours. Car ces magiciens sont des manipulateurs qui savent créer une dépendance et une addiction au clic et aux réseaux sociaux.
Que font les gens en se réveillant ? Ils se précipitent sur leur ordi ou leur portable pour voir s’ils ont un message.
Réfléchissez une seconde, disent ces lanceurs d’alerte de type nouveau : les réseaux sociaux ne sont pas des outils à notre service, comme n’importe quel autre outil
classique : «Les réseaux sociaux vous séduisent, vous manipulent, veulent des choses de vous, car ils ont leurs buts propres, et leurs propres moyens pour y parvenir.»
S’affiche alors cette inscription blanc sur noir sur l’écran : «Seules deux industries appellent leurs consommateurs des «utilisateurs» (users) : celle de la drogue et du logiciel», rappelle un certain Edward Tufte.
Nombre de repentis témoignent en effet que bien qu’ayant démonté la manipulation à l’œuvre, ils ont continué pendant un certain temps à être dépendants l’un de Twitter, l’autre de ses mails, celui-ci d’Instagram. Et comme avec une drogue, il est très difficile de s’en passer, puisque cette addiction accroît la dopamine du cerveau. On imagine les dégâts sur les cerveaux des enfants, particulièrement des adolescents, soulignent-ils. Il a suffit d’une génération pour établir leur dépendance à leur «tribu Internet», alors que YouTubeKids inclut désormais des publicités, créant une nouvelle génération d’enfants élevés «à la tétine numérique».
Ils insistent : le phénomène est désormais incontrôlable, grâce à la puissance des algorithmes et de l’intelligence artificielle, la fameuse IA «qui dirige déjà le monde».
Plus besoin de penser par nous-mêmes, allons sur Wikipedia, par exemple : toutes les réponses possibles à une question sont alignées sur l’écran, les vraies comme les fausses, sans aucune hiérarchie, si bien que les théories conspirationnistes ont envahi l’univers. «Une étude du MIT montre que sur Twitter, les fausses informations se répandent six fois plus vite que les vraies, rapportant donc plus d’argent aux entreprises de la Tech». Les fausses informations sur le coronavirus, par exemple, fleurissent et prospèrent, puisque nous sommes entrés dans l’ère des fake news, comme l’a bien compris Mister Trump, président des fake news. « En plus nous dit-on, pour les réseaux, «truth is boring» (la vérité est ennuyeuse). Mais si nous ne nous accordons plus sur ce qui est vrai, sur le fait qu’il existe une vérité, nous sommes fichus. »
Et voici la conclusion de ce plaidoyer : «Ce n’est pas la technologie en elle-même qui est nocive, mais sa capacité à faire ressortir le pire de la société».
Sommes-nous en pleine science-fiction avec «The social dilemma», ou au contraire en pleine réalité ? A chacun de répondre. Mais le témoignage de tous ces repentis est impressionnant.
Lise Bloch-Morhange
«Derrière nos écrans de fumée» (The Social dilemma), documentaire Netflix
Chère Lise,
laissez tranquille Monsieur Trump, qui n’aura pas lancé de nouvelles guerres et aura rapatrié au contraire ses soldats engagés sur des terrains périlleux… et pensez déjà au danger Biden représente justement tous ces « réseaux dit sociaux » et qui va donner de hauts postes à des anciens de Facebook, Twitter et cie, puisque sa colistière les représente…
Je vous garantis que ce duo sera moins apte à contenir l’appareil militaro-industriel surtout si les réseaux sociaux leur apportent de « nouvelles preuves » sur de « nouvelles armes de destruction massive » quelque part dans le monde…
Évidemment, le « camp du bien » ne peut pas être victime ou producteur de « fausses nouvelles » !
Cher Philippe,
quelle étrange obsession chez vous de vouloir défendre Trump à tout prix… Ce n’est pas la première fois que vous le faites…
A ce propos, je vous rappelle que ce n’est pas lui qui a commencé à rappeler les soldats US au pays, mais Obama.