Lorsque Josette Rey-Debove et Alain Rey publient leur préface dans l’édition 2006 du Petit Robert, ils l’adressent « à nos amis lecteurs et à ceux qui le deviendront ». Si cette introduction était revue par la bien-pensance actuelle, cela donnerait au minimum « à nos amis et amies lecteurs et lectrices et à celles et ceux qui le deviendront ». Alain Rey est mort cette semaine à 92 ans. Lui qui, rappelait Maurice Ulrich hier dans l’Humanité, appelait à se méfier de ceux qui utilisent les mots pour « endormir, impressionner et agir sur le malheureux pékin ». Dans la première préface du Petit Robert en 1967, Paul Robert se félicitait encore d’avoir embauché Alain Rey quelques années auparavant et manifestait sa « gratitude » à « tous ceux » y ayant participé. Paul Robert savait bien que dans « tous » comme dans « ceux » le genre féminin et le genre masculin se trouvaient inclus. La mode, consistant à oublier cette évidence, relève d’une bien vaine insistance et un peu pénible à entendre.
On ne dira jamais assez de bien des dictionnaires. Ils ont ce mérite insigne de rappeler le sens des mots et d’en donner l’évolution, du moins quand elle mérite d’être retenue. Ce sont les sentinelles de la langue. Les dictionnaires expliquent ainsi comment le sens d’un mot peut parfois être complètement retourné comme l’adjectif « sophistiqué » lequel, autrefois, voulait dire: « faire croire ce qui n’est pas ». Ils nous informent aussi que dans la plupart des cas, il n’est pas nécessaire d’écrire « technologies » mais « techniques » ou encore « méthodes » en lieu et place de « méthodologies ». L’Académie française, qui joue en défense, n’est hélas pas suffisamment écoutée. Elle devrait bientôt être épaulée par la Cité de la Francophonie à Villers-Cotterêts dans le département de l’Aisne, ville où en 1539 une ordonnance de François 1er, signifia aux administrations l’obligation d’usage de la langue française. C’est Emmanuel Macron qui a décidé de la restauration du château de cette ville afin d’y abriter la future cité. En attendant de la découvrir, dès 2022 paraît-il, on ne peut qu’espérer que notre langage, notre richesse commune, y sera défendu comme il se doit. Ce que ne font pas vraiment les municipalités ayant décidé de fleurir leur communication déjà bien jargonnante, avec le langage dit inclusif. Il s’agirait d’un progrès, ce n’est au mieux qu’un artifice, au pire une régression.
C’est peu de dire que la disparition d’Alain Rey est à ce titre une perte. Les articles ayant paru cette semaine dans la presse à son sujet étaient à juste titre aimables voire élogieux. « Il savait partager son immense savoir avec gourmandise, éminçant à plaisir l’histoire des mots, pour mieux exhaler parfum et saveurs – comme lorsqu’on prépare la truffe », pouvait-on lire dans les colonnes du Monde.
Ajoutons notre pierre à l’édifice en déclarant que ce grand linguiste savait embrasser les mots avec la langue qui les rassemble. Réputé libertaire avec ses cheveux longs et sa moustache, il avait notamment tenu de 1993 à 2006, une chronique sur France Inter justement intitulée « Le mot de la fin ». Pour sa dernière intervention, il avait choisi le mot « salut ». Dans l’ordre, le Petit Robert de 2006, explique que le vocable en question signifie de prime abord, « le fait d’échapper à la mort », la « félicité éternelle dans les religions judéo-chrétiennes », une formule de civilité ou encore une façon d’honorer par exemple un drapeau.
C’est en ce sens d’ailleurs que l’adjectif « salutaire » s’emploierait assez bien à qualifier ces croisés, crypto-guerriers et gardiens de la langue française, hommes et femmes inclus on l’aura compris.
Dont faisait à l’évidence partie Alain Rey. Auteur d’une trentaine d’ouvrages, il avait notamment publié « Le dictionnaire du français non conventionnel » ou encore « Le dictionnaire amoureux des dictionnaires ». Avec de tels états de service on ne pouvait faire meilleure impression.
PHB
Je retiens d’Alain Rey qu’il faisait vivre la langue française en incluant dans son dictionnaire les nouveaux mots, les nouveaux usages, sans attendre 100 ans « pour voir si cela tient ». Il avait compris, voulu et était l’apôtre d’une langue vivante. Et non morte comme le veut l’Académie. Récemment je cherchais le mot « pépée », voulant dire « jeune fille, au physique généralement plaisant ». Il est dans le Petit Robert, avec une définition plus courte, il n’est pas dans celui de l’Académie. C’est vrai que cela ne fait que 100 ans qu’il est utilisé. Le jour où nos chers Académiciens et chères Académiciennes (pour respecter le nouvel usage!) s’apercevront que ce mot existe et qu’ils se décident à le mettre, son usage aura passé, ce qui est en train de se faire. Ils peuvent donc s’y mettre.
Heureusement qu’il y a le Petit Robert. J’espère qu’Alain Rey aura des successeurs et qu’ils garderont cette même ligne éditoriale.
À noter aussi qu’Alain Rey tint longtemps une savoureuse chronique mensuelle sur les mots et leur histoire dans le Magazine littéraire.
Lors d’un salon du livre à Autun, l’année dernière, où j’étais jury d’un prix dont il était président, j’ai petit-déjeuné avec lui et… Bernard Menez.
Je me souviens que sa conversation était aussi brillante que je l’espérais. Il avait aussi beaucoup d’humour et n’avait pas besoin de beaucoup de mots pour dire ce qu’il pensait des uns et des autres… On avait fait le tour d’horizon des livres en présence et certains ont en pris pour leur grade…
Il m’avait raconté avec beaucoup de distance ses années France Inter et fait quelques portraits bien sentis de certaines « stars de l’info » de la matinale…
Un esprit… Comme j’en ai peu rencontré et avec qui on n’avait pas intérêt à faire le malin.
Je l’ai revu quelques semaines plus tard et j’ai été fier qu’il se souvienne de moi et m’adresse un grand sourire.