C’est durant l’occupation à Paris que le Roumain Victor Brauner conçoit ce qu’il va appeler les « Congloméros ». Cette série de cinquante dessins solidarise le plus souvent le corps de la femme et le corps de l’homme dans une approche tout à la fois ésotérique et surréaliste. Une visionneuse installée au Musée d’art moderne, permet d’en apprécier les étranges subtilités. Cela faisait depuis 1972 qu’un musée français ne lui avait pas consacré une aussi vaste exposition. Cet homme né en 1903 ne nous visite pas souvent, il est à ce titre un peu comme la comète de Halley qui ne passe en vue de la Terre que tous les 76 ans et dont le passage en 1911 lui aurait laissé une empreinte durable. Disons-le tout de suite, il s’agit ici d’une monographie remarquable, sollicitant bien plus que notre regard, mais aussi notre inconscient.
Elle nous permet également de voir à quel point le parcours terrestre de Victor Brauner a influencé son œuvre. La première partie de son existence se déroule naturellement en Roumanie. Pays dans lequel sa conduite anticonformiste à l’école des beaux arts de Bucarest, conduira à son éviction de l’établissement. Brauner n’est pas du genre à se plier aux règlements. Lors de ses deux séjours à Paris, il se fera accepter puis exclure du groupe surréaliste avant d’être réintégré. Il faut dire que sa production artistique dans laquelle il est permis de trouver des corrélations avec ce que faisait Salvador Dali ou Giorgio de Chirico ne pouvait qu’intéresser ce petit monde objectivement transgenre pour ce qui était de l’univers graphique. Brauner avait d’ailleurs fait, en 1934, un portait d’André Breton, le chef intraitable des surréalistes. Brauner avait tout pour lui plaire, notamment cet étonnant autoportrait prémonitoire réalisé en 1932 dans lequel il se montre avec un œil crevé ce qui lui arrivera effectivement sept ans plus tard au cours d’une rixe.
L’étrangeté caractérisait aussi bien ses œuvres que sa vie. De là intervient une fascinante transposition en 1945. Cette année-là il emménage dans l’atelier du 14e arrondissement que le Douanier Rousseau avait occupé entre 1906 et 1910. Circonstance extraordinaire qui ne pouvait rester stérile puisqu’il y refait une toile du premier en y introduisant un être hybride de son cru (ci-contre), issu de ses « Congloméros ». La peinture du Douanier Rousseau s’intitulait « La charmeuse du serpent », celle combinée par Brauner s’appellera la « Rencontre du 2 bis rue Perrel » en une sorte d’hommage parfait. Une photo de Émile Savitry le montrera d’ailleurs, en 1946, devant la toile en question.
On ne manquera pas non plus, au milieu du parcours, ses tout petits tableaux dont le format était prévu pour être transportés dans une valise comme « La mode » ou « La ville qui rêve ». Ces miniatures nous font voyager de nuit précisément, lorsque des songes inattendus nous traversent l’esprit, comme surgis d’un inconscient transformé en studio vidéo.
La dernière partie de la scénographie est consacrée au dépassement de la production surréaliste de Brauner, période s’étalant entre 1949 et 1966 date de sa disparition. une dernière étape qu’il avait baptisée « Onomatomanie », associant nous dit-on, un « érotisme affranchi » et son « double psychanalytique ». Peut-être. Les œuvres de cette dernière série suscitent en tout cas l’enthousiasme comme son « Automama » pour la mère et son « Aéroplapa » (ci-dessous) figurant le père dans un avion-jouet découpé et pour le moins étonnant.
« Je suis le rêve, je suis l’inspiration » disait-il en se présentant avec une assurance à bien des égards justifiée. Victor Brauner a ce talent pas si fréquent de donner vie aux chimères qui par définition n’existent pas. Il est bien possible qu’à trop s’attarder sur certaines de ses images, les visiteurs ne sortent pas tout à fait indemnes de cette exposition laquelle s’apparente davantage à un spectacle de vraie magie, c’est à dire dépourvue de trucs, le pinceau en guise de baguette.
PHB
Victor Brauner, jusqu’au 10 janvier au MAM
Crédits photos: PHB
Votre plume a réussi, une fois de plus, à rendre un vivant hommage à cet artiste insondable, donc magique .
Mille mercis pour ce papier, qui ,je l’espère, encouragera les curieux à se précipiter au MAMVP dès que les portes seront rouvertes.