Pendant des années, un imposant cube de béton brut somnolait le long du canal de l’Ourcq, près de la mairie de Pantin. Malgré sa taille, on l’avait presque oublié. Quand tout à coup, il s’est réveillé sous le baiser de la muse Terpsichore. Pour propager la bonne nouvelle, elle a déposé sur le toit du bâtiment cinq lettres rouge vif : «danse». C’était en 2004, le CND, centre national de la danse, ouvrait ses portes à Pantin.
Pas de biche, jeté et, sitôt la porte du CND passée, un grand battement (de cœur) tant l’atrium en jette. On est accueilli dans un immense vestibule dont la luminosité tranche avec l’austérité grisâtre du béton extérieur. En son centre, un colossal escalier-rampe à deux niveaux – qui dessert les six étages- recompose les volumes en jouant avec la lumière des grandes vitres qui lui font face.
Le bâtiment, conçu par l’architecte Jacques Kalisz, constitue l’un des meilleurs exemples de l’architecture dite brutaliste. Kalisz répondait à une commande de Jean Lolive, maire communiste de Pantin qui souhaitait la création d’un centre administratif pour regrouper près de la mairie tous les services utiles aux Pantinois : impôts, police, palais de justice, compagnie des eaux, syndicats… Le maire, mort en 1968, n’a pas vu la couleur du centre, inauguré en 1973. Nous ne savons donc pas s’il aurait été à son goût. Toujours est-il que le «Palais du peuple», comme l’appelait Kalisz, n’était pas du gout des Pantinois ni des fonctionnaires qui l’occupaient. Petit à petit, les services se sont délocalisés et le bâtiment a été abandonné en 1990. Jacques Kalisz, n’en était pas moins un architecte prolixe de la ceinture rouge. Parmi ses réalisations, citons la bibliothèque Triolet et le Groupe scolaire Lolive de Pantin, des lycées et collèges à Noisy, Drancy, La Courneuve, l’école d’architecture de Nanterre, le centre administratif de Saint-Quentin en Yvelines, et, plus loin, la patinoire olympique d’Albertville…
Mystère du grand écart : comment le «Palais du peuple» est-il devenu le CND ? ou comment une structure administrative a-t-elle pu se transformer en centre de la danse abritant aujourd’hui 14 studios ? C’est Jack Lang qui décidait en 1998 de créer le Centre national de la danse pour lequel l’Etat a récupéré le batiment de Kalisz. Ont suivi les adaptations respectueuses des architectes de talent Antoinette Robain et Claire Gueysse. C’est ainsi que l’ancien parking de la cité administrative est devenu une salle de spectacle modulable de 140 à 200 places et que la fourrière du commissariat abrite aujourd’hui un grand studio avec arrière-scène.
Lorsque Mathilde Monnier était directrice du CND, une seconde série de travaux a été réalisée en 2016 par l’agence Berger & Berger pour ouvrir le CND sur l’extérieur. Si la transparence sur rue était assurée côté rue Victor Hugo, elle ne l’était pas côté canal. Un mur de béton rouge qui s’élevait sur toute la hauteur du bâtiment à la manière d’un rideau de théâtre empêchait toute communication. Le mur a été abattu au rez-de-chaussée et des baies vitrées débouchent désormais sur une grande terrasse au-dessus du canal (très prisée les jours ensoleillés). De plus, le spacieux rez-de-chaussée a été restructuré pour accueillir le public avec la création d’un lieu d’exposition, d’une salle de projection, d’un studio et, non des moindres pour les gourmets à la recherche d’une bonne adresse, du bar-restaurant Mingway. Autant dire que c’est une autre étoile du CND ! Installés sur la vaste terrasse avec vue sur le canal ou dans le vestibule brutaliste, vous pouvez y savourer à petit prix une cuisine soignée et saine concoctée par de jeunes chefs hors pair avec des produits bios du terroir. Des saveurs exquises et originales mais aussi une démarche solidaire en reversant 1 euro par menu à l’aide alimentaire du quartier.
Mais au fait un centre national de la danse ça sert à quoi ? À fédérer et promouvoir la profession, on s’en doute, et à favoriser la création chorégraphique. Et là, autant dire que le CND sait sur quel pied danser. Ses actions comprennent le développement de laboratoires de recherche avec des chorégraphes connus, l’accueil de danseurs en résidence, la diffusion de spectacles. Au premier étage du bâtiment, la médiathèque rassemble et met à disposition du secteur chorégraphique et des publics d’importantes ressources dont une cinémathèque d’envergure. Autre mission du CND, la transmission des savoirs, l’accompagnement et la formation des danseurs professionnels qui se voient notamment proposer un cours classique ou contemporain chaque jour et des workshops chaque semaine. Mais le CND ne néglige pas pour autant la pratique amateur. Il offre des ateliers gratuits temporaires. Il collabore aussi au long de l’année avec une vingtaine de classes de jeunes âgés de 7 à 18 ans, ainsi qu’avec 90 femmes de Seine-Saint-Denis.
On imagine combien de ronds de jambe il aura fallu à la muse de la danse Terpsichore pour mener à bien les métamorphoses parfois surprenantes de ce chantier. Mais grâce à une série de drops réussis, la cité administrative de Kalisz a donné naissance à une galaxie d’étoiles. Révérence.
Lottie Brickert