Ça vous est tous arrivé. Et plus d’une fois. Peu importe le décor, fausse auberge rustique avec petits bouquets de fleurs sauvages ou intérieur post-industriel avec tables de récupération : dans tous les cas, il s’agit d’un restaurant français.
Le serveur, jeune homme plutôt sympathique sorti vraisemblablement depuis peu d’une école hôtelière, vient de vous vanter les plats de la carte et les spécialités du jour. Après les hésitations d’usage (minutes généralement insupportables pour ceux que la faim commence à tenailler), le choix est fait. La commande est prise. La question essentielle du degré de cuisson de la viande a même été réglée.
Vient alors la question fatidique. «Et en boisson…?» Vous sentez que le jeune homme se fait déjà une joie de pouvoir vous conseiller. Il est prêt. Il est opérationnel. D’ailleurs, quelle que soit votre décision, il ne manquera pas de souligner qu’il s’agit là d’«un très bon choix». Ça ne mange pas de pain et ça fait toujours plaisir.
Mais ce jour-là, non. Ni le petit bordeaux que les clients adorent, ni le gamay de Touraine qui accompagnera tellement bien tous vos plats, ni le côtes du Roussillon qu’on vient juste de rentrer. Ce jour-là, ce sera de l’eau. H20.
Un peu timidement, vous répondez : «…. De l’eau.» Prévisible, programmée, la répartie du serveur ne se fait pas attendre. Il sort l’artillerie lourde. «Plate ou gazeuse ?». Derrière l’apparente banalité de la question, se cache un piège qui ne trompe que les néophytes. Surtout ne pas répondre ! Dans les deux cas, vous seriez fichu. Gazeuse ou non (mais qui donc a inventé cette expression imbécile d’ »eau plate » ?) il s’agira d’eau en bouteille et avec étiquette, bref de l’eau dont le prix, souvent excessif, se rajoutera à l’addition finale.
C’est l’instant crucial, le moment-clé. Un des convives, le plus audacieux, se dévoue et répond gentiment, mais fermement : «Non, non…une carafe». Petite gêne, quasi imperceptible, du serveur. Au mieux, il vous gratifiera d’un «très bien» peu convaincant. Se vengera-t-il de façon perverse en vous faisant ensuite attendre un bon moment pour l’arrivée de cette fameuse carafe ? Ce n’est pas systématique, mais cela s’est vu. Pour le moment, le contrat est établi : après avoir franchi toutes les épreuves, les convives pourront, la tête haute, savourer leur repas entrecoupé de quelques gorgées d’eau naturelle, potable et gratuite.
Mais attention… Nous sommes en France. Ne vous avisez pas de faire un scandale si dans un restaurant d’Anvers ou de Bruxelles, le garçon ne consent qu’à vous apporter de l’eau minérale, que vous paierez sans doute plus cher qu’un bock de bière. Parce que la carafe d’eau gratuite n’est pas obligatoire en Belgique. Elle ne l’est pas non plus au Luxembourg, en Suisse, en Italie, dans certaines provinces d’Espagne…et dans de nombreux pays. On n’ira pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’une exception française, mais enfin la règle observée en France n’est pas universelle. Comme la gastronomie elle-même, les us et coutumes en matière de restauration varient d’un pays à l’autre. Au Portugal, sans même que vous l’ayez demandé, on vous apportera d’office un assortiment d’entrées toutes les plus goûteuses les unes que les autres. Sachez qu’il ne s’agit pas d’un cadeau de bienvenue, mais d’une simple proposition et que ces amuse-gueule vous seront facturés si vous succombez à la tentation (ce qu’espère vraisemblablement le restaurateur). En Italie et en Espagne, si vous choisissez à la carte et non au menu, il est fréquent qu’on vous compte en supplément le pain et le couvert. En revanche au Québec, un certain nombre de restaurants acceptent que vous apportiez votre propre bouteille de vin, ce qui semblerait en France parfaitement incongru. Bref dans bien des cas, il vaudra mieux se renseigner auprès des autochtones ou des habitués du pays pour éviter les impairs et les incompréhensions qui peuvent gâcher une soirée.
Revenons à la carafe tellement française : son obligation a été définie par l’arrêté du 8 juin 1967, qui prévoit également la gratuité du pain. Personnellement, j’ai trouvé une astuce pour éviter tout malentendu. Avant même que l’on me pose la question fatidique (voir plus haut), je précise : «De l’eau… municipale». Cela suscite parfois des réponses inattendues. Dans un restaurant de quartier où j’allais pour la première fois, le gentil patron ne fut pas pris au dépourvu. La scène se déroulant à Lille, ville dont Pierre Mauroy fut longtemps le maire, il me répondit presque du tac au tac «Je vais voir s’il me reste de la cuvée Pierre Mauroy». Séduit par un tel à-propos, j’ai depuis pris mes habitudes dans cette sympathique gargote. Et pour être agréable au patron, je commande assez fréquemment de l’eau minérale.
Gérard Goutierre
Un article savoureux !
Je dirais même plus : un article gouleyant !
On m’a dit que la cuvée Martine Aubry n’est pas très écolo…
Je t offre un verre d eau glacée , ni touche pas distraitement , il est le fruit d une pensée , sans ornements