Il fallait ce qu’il fallait. Pour les nerfs malades, la sciatique ou pour les problèmes de pituites, on utilisait encore de l’huile de petits chiens. En 1784, Monsieur Baumé, maître apothicaire de Paris, écrivait que le remède nécessitait des chiots à peine nés, de l’huile d’olive et du vin blanc. On découpait les pauvres bêtes en petits morceaux et on les faisait frire dans un mélange d’huile et de vin tout en ayant soin de remuer l’ensemble avec une spatule de façon à ce que les ingrédients n’attachent pas. Le tout était mis en cruche fermée par un bouchon de liège et exposée au soleil durant deux à trois semaines. La recette différait sensiblement si l’on voulait de l’huile de fourmis, de scorpions, de vers, de cloportes ou de castors. Chaque espèce animale avait sa réputation envers différents types de maux. À lire cette cinquième édition des « Éléments de pharmacie théorique et pratique », imprimée peu avant la Révolution française, on mesure mieux les avantages acquis du monde moderne.
Il valait mieux ne pas tomber malade. De cet ouvrage épais, il ressort que hormis l’usage du laudanum à base d’opium afin de soulager les douleurs et les dérangements intestinaux ou la consommation de quinquina pour faire descendre la fièvre, à peu près tout se basait sur des mixtures et supercheries improbables. Il faut noter qu’à cette époque le mot placebo n’était pas si loin de la définition actuelle en termes d’efficacité. Selon Le Robert Culturel, il signifiait davantage « plaire au patient » puisque ce vocable venait du latin « placere ». Son emploi actuel qui consiste à faire croire à un cobaye humain qu’il ingère une substance active a quand même un peu dévié de son origine.
L’impuissance passée de la pharmacopée à guérir se rattrapait surtout dans le soulagement et c’est pourquoi cette bible du préparateur époque Louis XVI décrit nombre de possibilités que de nos jours on définirait comme de simples cocktails destinés à se tourner la tête ou à faire baisser la pression d’une dure journée de Parisien rescapé des transports anarchiques. Ratafias à base d’eau de vie ou de genièvre, anisettes, liqueurs aux raisins de Damas, marasquin de Zara aux cerises noires et aux framboises, l’ouvrage contient nombre d’alibis pour boire un coup sous caution médicale. Parfois c’était même écrit en clair en dépit des « f » qui remplaçaient les « s ». Comme pour l’électuaire de psyllium pourtant sans alcool: « C’est un bon apéritif chaud, il fortifie l’eftomac, il lève les obftructions, il excite les mois aux femmes. »
Mais le vin n’était jamais loin, quitte à s’en servir pour noyer les vipères ou les cloportes. Dans les deux cas les vertus apéritives après imprégnation sont encore soulignées. La vipère marinée comme un banal hareng avait en outre, selon l’auteur, la capacité de chasser les mauvaises humeurs tandis que le cloporte « diffipait la jauniffe » et contrariait rien moins que l’évolution des cancers. Comme le dit ce bon Monsieur Daumé, « je paffe sous filence » les autres pour ne garder que celles qui sont « efficaces ». Quand on pense aux débats actuels relatifs à l’épidémie toujours en cours, il y a là de quoi méditer. D’autant répétons-le, que déjà le quinquina était largement connu pour venir à bout des fièvres.
D’ailleurs indique l’apothicaire dans un avertissement: « j’aurois été fenfible à ces critiques fi je me les étois attirées par des erreurs ou des fautes groffières, mais celles qu’on avait cru y découvrir fe font évanouies au moyen des écclairciffements que j’ai donnés ».
Mais, rajoute-t-il sur le même ton qu’il aurait sans doute employé devant une commission d’enquête parlementaire, « eft-il possible de fe mettre à l’abri de la critique d’une forte de gens défœuvrés qui n’ont tout au plus que le demi-favoir et qui ofent prendre un ton magiftral »? Défendre ses connaissances, analyses et convictions dans ce domaine n’a été jamais chose facile.
L’histoire bégaiera certes moins lorsque l’on se sera rafraîchi le gosier avec un bon ballon de blanc égayé de quelques cloportes en suspension. Alors tant qu’on a la « fanté », à la bonne vôtre.
PHB
Délectable! Pour ma part, je continuerai à suivre la médication plus récente du docteur E.A.Maury : « Soignez-vous par le vin » (J.P.Delarge, 1974). Selon l’état maladif, bourgognes, bordeaux et autres côtes-du-rhône de toutes les couleurs assurent un prompt rétablissement. Par exemple, pour l’hypertension, il est conseillé de boire deux verres de Sancerre blanc par repas. Pourquoi? « Parce-que ces vins sont diurétiques; ils provoquent ainsi une décharge de chlorures, d’urée et d’acide urique; ils aident donc à l’élimination de l’excès de liquide organique qui favorise la pléthore sanguine, laquelle représente un facteur important dans la tendance à l’hypertension. » Ma foi, je veux bien le croire sur parole!