Toutes les maisons d’opéra ayant dû fermer ces derniers mois et l’incertitude régnant plus ou moins sur leur réouverture, certaines nous proposent sur internet dès maintenant, en lot de consolation, une sélection de leurs productions récentes.
L’Opéra Comique, en particulier, nous fait un beau cadeau en nous offrant trois des plus belles productions de la saison 2019. Il y en a pour tous les goûts : baroque, XIXème français, contemporain.
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Excellente introduction au baroque italien du XVIIème siècle que cet «Ercole Amante» (Hercule amoureux) de Francesco Cavalli plein de passions, revirements et effets en tous genres (image ci-dessus). Mazarin avait commandé l’œuvre pour la commémoration (retardée) du mariage de Louis XIV avec l’infante d’Espagne, célébré dans le prologue.
Cette résurrection est due in loco au baroqueux virtuose Raphaël Pichon, qui alors au Conservatoire de Paris, fondait à 22 ans son ensemble sur instruments anciens Pygmalion avec chœur éponyme.
Le fil de l’intrigue est constitué par la rivalité amoureuse entre Hercule, l’époux de Déjanire, soudain pris de passion pour la jeune Éole, dont son fils Hyllus est épris. Vénus et Junon vont s’en mêler, et nous sommes un peu, avec deux siècles d’avance, dans une sorte d’univers offenbachien, ce qui a de quoi surprendre.
Car le parti pris de la mise en scène signée Valérie Lesort et Christian Hecq (acteur de La Comédie Française) est franchement bouffonne, et les grandioses effets spéciaux de la création en 1662 sont revisités en quelque chose d’enfantin et lunaire, enchaînant monstres rigolos, orage céleste et jardins stylisés, sommeil bibendum, petit navire en papier, bathyscaphe à la Jules Verne, cortège funèbre autour du mort ressuscitant, etc.
Tout cela finira dans les Enfers, puis in extremis au Ciel.
Bien sûr il y aura quelques airs de déploration, Junon ayant pris le parti de Déjanire, l’épouse bafouée d’Hercule qui se lamentera beaucoup, tout comme les jeunes amoureux éperdus Iole et Hyllus, par contraste avec Hercule lui-même brandissant sa massue, exigeant obéissance, violent et colérique.
Ce qui nous interroge quelque peu sur ce personnage vedette de l’œuvre, qui représente le pouvoir et la puissance, héros très populaire des fameux «sept travaux d’Hercule». Que pouvait en penser Louis XIV, entre deux courbettes, lui qui participait au ballet avec ceux de sa cour ?
Et pourquoi se moque-t-on unanimement de cet Hercule traité par tous de «monstre affreux» ? De quoi réjouir les féministes d’aujourd’hui, d’autant que cet odieux Hercule est interprété avec un parfait humour par la basse Nahuel di Pierro, compliment valable pour toute la distribution (dont Dominique Visse) jouant et chantant parfaitement un baroque sans affectation.
Parmi la «nouvelle troupe Favart» datant de 2017 on trouve un ténor de Mansfield, Missouri, Michael Spyres, qui ne cesse de nous éblouir dans le répertoire le plus français qui soit. Formé dans sa jeunesse au Conservatoire de Vienne, s’étant illustré dans le répertoire belcantiste puis dans de grands opéras à la française, le voilà qui au sein de cette nouvelle troupe Favart devient plus français chaque jour.
En 2018, il nous avait ébloui lors de la résurrection de «La Nonne sanglante» de Gounod (article du 8 juin 2018), et nous écrivions que l’évènement n’aurait pas pu avoir lieu sans lui. Bis repetita en avril 2019 avec le plus célèbre opéra-comique d’Adolphe Adam (plus connu de nos jours pour son ballet «Giselle») «Le Postillon de Longjumeau» (1836).
Quel mystère que cet enfant du Missouri incarnant ces personnages célèbres du XIXème siècle français ! Le rideau s’ouvre, et vous l’apercevez bientôt en Chapelou, postillon de Longjumeau (ci-contre), sortant avec son épouse du jour, l’aubergiste Madeleine, d’une boîte de bonbons rose géante décorée de nœuds.
Sanglé dans son costume, l’œil frisant, affable et serviable, le voilà qui entonne l’air «Mes amis écoutez l’histoire D’un jeune et galant postillon C’est véridique on peut m’en croire Et connu de tout le canton… Qu’il était beau le postillon de Longjumeau ! » Là, sur le «beau», écoutez bien ce contre-ré qui a rendu l’ouvrage célèbre, avec deux autres airs eux aussi stratosphériques.
Coup de théâtre : le marquis de Corcy, directeur de l’Opéra du roi Louis XV (longue silhouette de l’excellent baryton et acteur comique de la troupe Favart, le bien connu Franck Leguérinel), séduit par les prouesses vocales du postillon, l’engage sur le champ à rejoindre Paris. Comment ? Le soir même de ses noces ? «Je ne puis en ce jour quitter Madeleine» gémit le postillon, entamant bientôt un autre air célèbre pour ses notes suraigües «Assis au pied d’un hêtre… etc.» Ah le timbre velouté, lumineux, de Michael Spyres, sa diction irréprochablement française !
Nous allons nous régaler de ses mines, de son œil bleu malin, d’un jeu comique de chaque seconde tandis qu’il se retrouve à la cour, Chapelou métamorphosé en Saint-Phar, chanteur adulé de la troupe du roi, jouant au grand seigneur fripon.
On le voit mieux que jamais grâce aux gros plans : le missourien s’est glissé avec un visible bonheur dans la mise en scène de Michel Fau (en travesti dans le rôle de Rose), véritable bourgeois gentilhomme empanaché de plumes rouges comme un cheval de parade, tandis que défilent d’acte en acte les décors féériques enrubannés à la Fau.
Chapelou-Saint-Phar va-t-il épouser Madame de Latour, devenir bigame, ou retrouver un jour Madeleine ? Attendez la fin, et guettez bien son air «À la noblesse je m’allie».
Changement radical d’atmosphère avec l’œuvre contemporaine «L’inondation» (ci-contre), initiée par le maître des lieux, le discret Olivier Mantei. À 55 ans, il a été (discrètement) reconduit dans ses fonctions par un décret du conseil des Ministres le 24 juin dernier. Arrivé dans les bagages du précédent patron Gérôme Deschamps dès 2007, il lui a succédé en 2015 et rempli depuis sans faillir la mission assignée à la salle Favart : promouvoir le baroque, l’opéra-comique et le contemporain boudés par les grandes salles.
Sans entrer dans l’éternel débat pourquoi ne programme-t-on pas davantage d’œuvres
modernes (au lieu des éternelles «Tosca» et «Traviata»), il faut savoir que le public, contrairement à ce qu’on pourrait croire, apprécie beaucoup ces opéras quand ils sont réussis.
Ainsi pourra-t-on entendre à la fin l’accueil réservé à cette «Inondation» initiée par le patron ayant rapproché dès 2016 ces deux artistes que sont Joël Pommerat, très talentueux vétéran des planches, et le compositeur pisan Francesco Filidei (son deuxième opéra à 47 ans).
Pommerat a choisi d’adapter une nouvelle du russe Evgueni Zamiatine de 1929, mais tout est intemporel dans cette histoire, aussi bien le thème que la mise en scène : nous sommes face à un immeuble en coupe où nous voyons se dérouler la vie quotidienne sur trois étages, passant de l’un à l’autre, d’une famille à l’autre, grâce à de magnifiques éclairages faisant tantôt le noir tantôt la lumière.
Frigidaires, canapé et table banals, costumes banals, dialogue banal. Le drame se concentre sur le couple du bas, enfermé dans le mutisme et le désespoir de ne pas avoir d’enfant.
Lorsque le voisin du troisième étage meurt, ils adoptent l’orpheline, jeune fille blonde à queue de cheval et lunettes, par qui le scandale va arriver.
On peut compter sur Pommerat et sur le long et exceptionnel travail qu’il a pu faire avec eux, tous les chanteurs-acteurs sont excellents.
Le dialogue minimal fait naturellement penser au «Pelléas et Mélisande» de Debussy, et l’accompagnement musical omniprésent nous en fait voir de toutes les couleurs, notamment lors de l’inondation. Prouesse de l’Orchestre Philharmonique de Radio France réduit à quelques bois, cuivres, cordes et percussionnistes, sans oublier, paraît-il, verres d’eau, papier de verre, papier bulle, jouet couineur, machine pour reproduire le bruit d’un taser, langues de belle-mère, cailloux, pompe à vélo et de nombreux appeaux d’oiseaux, tout ceci sous la direction du maestro italien Emilio Pomarico.
Lise Bloch-Morhange
«Ercole Amante», Cavalli, arte.tv jusqu’au 30 novembre
«Le Postillon de Longjumeau», Adam, france.tv jusqu’au 9 novembre
«L’Inondation», Filidei, arte.tv jusqu’au 2 octobre
Dernière minute : en réaction à la raréfaction des spectacles, des musiciens de premier plan se sont mobilisés pour proposer dans le Potager du Roi à Versailles une série de concerts jusqu’au 2 août
Bonjour Lise,
Sur votre recommandation, je suis allé voir L’inondation en replay sur Arte. Je suis pourtant attiré par les œuvres (opéra et théâtre) actuels, les créations, pas toujours faciles à suivre car innovantes, mais là j’ai eu une peu de mal avec le texte que je trouve assez indigent (c’est aussi parfois le cas sur certaines œuvres classiques).
Sinon musique prenante et très bien interprétée, excellents chanteurs, dispositif scénique intéressant. Je n’ai pas eu la patience d’aller au bout pour voir (ou plutôt écouter) si le livret devient intéressant sur la longueur.
Quant à la programmation musicale au Potager du Roi, le prix des places à 5€ et gratuit en dessous de 12 ans est un effort à noter et à consommer sans modération, pour faire des découvertes. Je peux y aller à pied de chez moi, ce qui facilite les choses…
Merci Yves de votre fidélité et bravo pour votre curioité musicale!
Je peux vous révéler que contrairement au meutre inaugural, « L’inondation » finit bien.
Et la simplicité des dialogues à la Debussy est bien entendu voulue par le librettiste-metteur en scène Joël Pommerat.
Quant au festival du Potager du Roi à Versailles, il est d’autant plus remarquable que tous les musiciens qui en ont pris l’initiative sont des artistes de premier plan très connus. Bons concerts!