Quoi ! Le déconfinement s’annonce alors que nous commencions tout juste à découvrir les vertus du confinement ?
Ne parlons pas, bien sûr, au nom de ceux qui sont entassés, trop nombreux, dans un espace trop réduit, de ceux qui dorment dehors, de toutes les populations fragiles…
Mais pour les autres confinés, parfois de luxe, nous voilà tout bouleversés !
Nous avons pris l’habitude de nous prélasser au lit sans remord, de nous allonger sur le divan pour relire enfin tous ces auteurs qui ont formé notre jeunesse et que nous nous jurions, depuis des décades, de relire sans jamais en trouver le temps.
Expérience dangereuse et fascinante, comme de revoir quelqu’un vingt ans, trente ans, quarante ans après… Mais les seuls vrais auteurs ne sont-ils pas ceux qui nous réservent toujours des surprises, qui sont inépuisables ? Bizarrement, relire n’est pas une tradition culturelle française, alors saisissons l’occasion.
Nous aimons aussi, nous les confinés, nous faire une toile sur l’un de nos écrans, du plus petit nommé smartphone à celui de la télévision ou de notre ordinateur, aller à toute heure du jour ou de la nuit sur Arte ou autre chaine, où le monde entier nous attend à portée de clic. Le monde des arts en particulier.
La réponse des artistes a été fulgurante. Les maisons d’opéra ou de ballet, les théâtres, se sont fermés mais qu’importe : musiciens, danseurs, comédiens, artistes en tout genre se sont mobilisés dès le premier jour pour nous enchanter at home…
La célèbrissime mezzo américaine Joyce DiDonato (merveilleuse berliozienne) la première, depuis son salon newyorkais, en symbiose avec maestro Antonio Pappano devant son piano à Londres, tandis que le plus grand et le plus beau ténor du monde Jonas Kaufmann, associé à une fondation soutenant les artistes allemands, entonnait de chez lui « Corona ! Corona ! Corona ! ».
En France aussi, dès les premiers jours, les grands de l’univers musical et lyrique ont donné de la voix pour alerter les pouvoirs publics, tel notre fameux baryton Ludovic Tézier écrivant illico presto au ministre de la Culture bien silencieux. Pour les stars, monsieur le ministre, écrivait-il, cela peut aller et encore, mais pour tous les autres, les débutants si fragiles, sans contrats et sans défraiements, comment vont-ils survivre ?
Et peu à peu, l’univers entier du lyrique a dénoncé le statut honteux de ces athlètes du gosier sur lesquels repose l’opéra tout entier, et qui ont été, au cours des décades, si marginalisés. L’auguste directeur, le tout puissant maestro, les metteurs en scène gonflés d’ego attiraient la lumière des projecteurs et des critiques… mais enfin, que serait l’opéra sans les chanteurs ? Pourtant quel métier artistique est-il plus exigeant et fragile que celui-là ?
Les confinés n’ont qu’à aller sur le site de l’Opéra de Paris ou sur YouTube pour se dire et si ces artistes si exigeants, si fragiles, retrouvaient leur vraie place sur les scènes lyriques ?
À leur tour, les musiciens de l’Orchestre National de France, essaimés à travers le pays, ont empoigné leurs instruments depuis chez eux, et nous ont régalé du Boléro de Ravel, déjà regardé 2 479 000 fois au 30 mars. Puis ils ont invité tous les amateurs à se filmer et à les rejoindre le 16 avril dans la Valse n°2 de Chostakovitch, celle qui berce le «Docteur Jivago» de David Lean.
Jamais, paraît-il, autant de gens n’ont écouté autant de musique classique, alors qu’ils s’en tenaient avant le confinement au rock pop et autres genres électro acoustiques … Espérons qu’ils garderont ces bonnes habitudes lorsqu’ils seront déconfinés…
Il faut le dire, beaucoup ont vite été désenchantés par ces chaînes dites d’information continue dont ils étaient si friands avant. Plutôt écouter Jonas ou le National que ces statistiques morbides continuelles et désespérantes, sans compter ces images d’éboueurs et de caissières repassant en boucle, assorties de commentaires émerveillés, comme si ces gens avaient été jusque-là totalement invisibles ! Comment ! Ils nous font vivre et nous ne le savions pas ! Mais qu’est-ce qui nous empêchait de le savoir ?
Nous, les confinés des villes, avons aussi appris, ou réappris à regarder les nuages passer dans le ciel, à surveiller par la fenêtre la si belle lumière d’Ile-de-France ou d’ailleurs. Rien de mieux, pour apprécier la liberté que d’en être privé, malgré les éternels tours de pâtés de maison.
Bien sûr, il y a aussi les confinés de luxe… Une amie habitant le douzième arrondissement de Paris m’envoie une courte vidéo faisant le tour de sa très petite cour où s’active son chat roux foncé la tête dans un pot de fleurs, avec ce commentaire : « Ah si je pouvais t’envoyer le parfum de mon jasmin ! ».
Un cousin professeur des universités d’Aix-Marseille, lozérien d’opportunité et d’adoption, m’envoie sur WhatsApp des photos de rocs austères coiffés d’un ciel intense avec ce commentaire : « Confiné au ciel ».
Nous les confinés de l’intérieur avons pris de nouvelles habitudes de toute sorte, comme celle d’écouter nuit et jour le silence de nos villes en nous disant « Ah si c’était toujours comme ça ! ». Un ami américain de la côte Est m’a envoyé un E-mail pour dire son effarement devant ces prises de vue des Champs-Elysées vides et de la place de la Concorde désertée, et son admiration face à notre respect du « lockdown ».
Comme on aimerait se tenir au milieu de cette place de la Concorde désertée, mais il faut nous contenter de ces images télévisées hallucinantes d’un Paris sans voiture, sans piéton, aussi fantomatique qu’en temps de guerre…
À ce propos, pourquoi ne pas lire ou relire « De ma fenêtre », livre écrit par « Madame Colette », comme l’appelaient ses lectrices, à partir du terrible hiver 1941-42, auquel elle assiste de sa fenêtre donnant sur le jardin du Palais-Royal. Confinée pour cause de guerre, durant la journée la Bourguignonne observe le manège de Pierrot-le-chat et de Lili-la-tortue cheminant ensemble, en couple inséparable. Et la nuit, l’écrivaine écoute le silence d’au-delà du jardin royal, et s’étonne de ne plus reconnaître les bruits familiers des voitures et des gens batifolant dans les rues.
Quant à nous, lorsque viendront les jours prochains du déconfinement, visiblement progressifs, espérons que nous garderons certaines bonnes habitudes nouvelles, et qu’interviendront bien d’autres changements évidemment souhaitables.
Lise Bloch-Morhange
Opéra de Paris Giselle ballet, jusqu’au 21 mai
« De ma fenêtre » Colette, 1942, Fayard, 1987
merci Lise
pas si anecdotique ce billet !
Merci de ce magnifique texte encourageant, ne perdons pas espoir,nous avons soutenu la pétition en faveur des serres dès son début bien qu’habitant en Pays de Bray à 110 kms de Paris. Nous pourrions être indifférents, c’est tout le contraire. Nous adorons Paris et sa banlieue, nous y reviendrons dès qu’il en sera possible. Pour la relecture des grands auteurs – et des autres pas toujours aussi connus, nous avons relu 2, 3, 4 fois Montaigne, Maupassant, Proust, Balzac, Dante, Flaubert et bien d’autres avec à chaque fois un immense plaisir. Lire ces auteurs à 16 ans et ensuite à 40 , 70, 73 ans n’est pas du tout la même chose. Bon courage pour la suite. Amitiés et solidarité. Rémi et Monique Lenormand
Que ferons nous, nous les déconfits une fois déconfinés ? Réciterons-nous notre confiteor en confessant nos manquements ou pire notre indifférence face aux enjeux écologiques ? Changerons-nous de mentalité ? Serons-nous plus solidaires, plus sensibles, plus humains ? Monique
Macron, comme ses camarades présidents, ont profité du virus pour retourner le tapis…
Histoire de tromper encore mieux leur monde…
Après ce confinement sans intérêt, tout recommencera comme avant…
Dixit le prince de Lampedusa sous les traits magnifiques d’un acrobate américain humaniste (Burt Lancaster) : « il faut que tout change pour que rien ne change »…
J’ai lu récemment je ne sais plus où que Burt Lancaster se serait lancé dans ces rôles viscontiens en s’inspirant de Marlon Brando qui ne restait pas cantoné dans des rôles hollywoodiens. Je regrette bien de ne pas avoir posé la question à l’ex acrobate durant mes années là-bas…
Merci pour cette belle façon de voir les choses en ayant également une pensée pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir un jardin ou un logement de 200 m2
Il est des textes comme ça, qui , une fois lus s’avèrent nécessaire.