Fulmard, le toquard magnifié

Soit 235 pages au long desquelles on se demande quelle mouche a donc piqué Jean Echenoz qui, s’il pratique depuis toujours le second degré, semble depuis son dernier roman, « Envoyée spéciale », s’attacher à créer des personnages grotesques empêtrés dans des scènes absurdes, le tout commenté par un narrateur joyeusement désinvolte qui n’hésite jamais à prendre parti, ni à interpeller le lecteur.
Cette fois, c’est à Gérard Fulmard, authentique looser, ancien steward licencié pour faute et condamné par la justice « avec obligation de soins et suivi psychologique » pour des faits qui ne seront jamais précisés, que revient la tête d’affiche. Au chômage, Fulmard végète désormais dans un microscopique appartement de la rue Erlanger dans le 16ème arrondissement de Paris et cherche à quoi occuper ses journées.

Un satellite russe qui, en rentrant dans l’atmosphère, en  s’écrasant sur l’hypermarché de la porte d’Auteuil, va dégager le sombre horizon de Fulmard: un boulon du satellite a fait une victime collatérale, Robert d’Ortho, ci-devant propriétaire du microscopique appartement de la rue Erlanger susmentionné. Et pour Fulmard, quelques mois de loyer économisés constituent plus qu’une embellie. Sauf que cette scène potentiellement dantesque qui ouvre le livre est le premier pas de côté de l’auteur qui ne jugera pas utile d’y revenir. Alors que la rue Erlanger continue de retenir son attention.

Par exemple qui se souvient, hormis Fulmard et Echenoz, que le chanteur Mike Brant s’est précisément suicidé en 1975 rue Erlanger, laissant déconfite Madame Fulmard-mère, morte depuis ? Ou que cette rue Erlanger fut aussi le théâtre du crime cannibale commis par un étudiant japonais sur une jeune étudiante néerlandaise, au début des années quatre-vingt ? Sait-on encore que la rue Erlanger fut inscrite en 1940 sur une liste de rues qu’il était devenu urgent de débaptiser puisque honorant des personnalités juives ? Mais Echenoz finit par laisser tomber la rue Erlanger, somme toute très ordinaire.

Alors il nous offre la FPI, Fédération populaire indépendante, parti politique tout à fait mineur, en prise à des querelles internes animées par des personnages de seconde zone que Tarantino pourrait adorer, dont la secrétaire générale est kidnappée ? assassinée ? ressuscitée ? cependant qu’autour de sa fille, Louise, une nageuse obsessionnelle, suscite toutes les convoitises, et pas seulement sexuelles. Mais ce ne sont pas les petits requins de la politique qui auront raison de ses formes sculpturales. Quant à la FPI, hormis sa poignée d’adhérents, personne ne s’en soucie. Même pas Echenoz.

Est-ce que toutes les portes entrouvertes par Echenoz sont essentielles ? Non pour la trame dramatique, mais oui, trois fois oui, pour l’atmosphère foutraque dans laquelle il nous plonge. Parce que, en elle-même, la vie de Gérard Fulmard pourrait nous laisser indifférents. Mais mise en scène par Echenoz, elle relève d’un genre tout à fait inédit.

Fulmard ne sait quoi faire de ses journées ? Il a bien une vague idée. Il s’en ouvre au psychiatre chargé de son suivi. Cette confidence minuscule va déclencher une série de catastrophes improbables dont Fulmard sera la marionnette, victime des turpitudes d’hommes de main déployant toute leur bêtise au service de l’obscure FPI.

Est-ce qu’un écrivain s’amuse en écrivant un roman drôle ? C’est possible que non. Au cinéma, on dit bien que la comédie est un art difficile et rigoureux. Est-ce que, d’ailleurs, un écrivain « décide » d’écrire un roman drôle comme on décide de faire une comédie pour le théâtre ou le cinéma ? Surtout lorsqu’on est publié par les Editions de Minuit qui ne sont pas connues pour pratiquer la franche rigolade…

La « Vie de Gérard Fulmard » que signe Jean Echenoz n’est certes pas de la franche rigolade, mais quand même. Il y a un fumet de Tontons flingueurs ou une once de Grand blond avec une chaussure noire, dans un genre qui ne choisit pas entre la pseudo-biographie d’un anti-héros (« je ressemble à n’importe qui en moins bien » dit Fulmard), les pirouettes de la bande dessinée, ou les détectives ratés du monde du polar. À suivre Echenoz, on se perd parfois, on s’épuise aussi à force de prouesses stylistiques qui s’enchaînent mais on s’y amuse quand même.  Et par les temps qui stagnent, la loufoquerie littéraire ne se refuse pas.

Marie J

« Vie de Gérard Fulmard », de Jean Echenoz. Editions de Minuit. 235 pages.

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