Un jeune homme vient rendre visite à sa grand-mère en vélo. Comme elle a quatre-vingt ans, elle a renoncé aux joies du pédalier. Mais elle aime bien « tournicoter » autour de la bicyclette de son petit-fils et jusqu’à vérifier que les pneus sont correctement gonflés. Quand elle était à l’école, elle avait même emporté une compétition réservée aux filles. À cet instant on se demande bien où va nous emmener Dzvinka Matiyash, l’auteur de « Histoires sur les roses, la pluie et le sel » qui vient de paraître. Ce n’est pas un roman, même pas un recueil de nouvelles, mais un assemblage de textes miniatures dont le substrat se situe bien loin de notre époque vaniteuse.
C’est si finement écrit que l’on s’intéresse d’emblée à ce petit-fils en mission de famille. Le garçon, à qui Dzvinka Matiyash prête sa plume, tient à nous raconter par quels truchements, tout à la fois modestes et extraordinaires, sa grand-mère a fini par rencontrer son grand-père. C’est l’une des pépites de ce livre qui donnera peut-être aux lecteurs des Soirées de Paris, l’envie d’en découvrir davantage.
La première fois que le futur grand-père vit la future grand-mère elle était justement occupée, sur la selle de son vélo, à tailler sa route lors d’un critérium local. Au contraire de ses rivales qui avaient enfilé un short, elle avait gaiement choisi une robe. Ce fut l’élément du déclic, le déclencheur du flash amoureux. Lui s’était donc enquis d’un bouquet de pissenlits prêt à répandre ses graines alentour. Il voulait lui offrir en vitesse quelque chose de significatif car il craignait la concurrence.
Sans l’avoir vu encore, la jeune fille sut qu’il allait se passer quelque chose car le vent lui chuchotait des choses. De même que ses mains recevaient certains messages. Et quand elle l’aperçut, elle comprit que c’était lui. « Autour d’eux, tout était blanc, doux, tiède comme à l’intérieur d’un coussin, et ma grand-mère eut envie qu’ils aient chez eux des oreillers garnis de duvet de pissenlits. »
L’écriture de Dzvinka Matiyash, sur seulement quatre pages de cette miniature littéraire, est des plus délicates mais pas seulement. Le romantisme de cette petite histoire prête également à sourire. Quand le jeune amoureux se décide en effet à lui proposer à boire un chocolat ou une limonade, elle lui répond qu’elle préfère les cornichons salés. Ils sont donc allés en acheter à l’épicerie la plus proche afin de commencer le partage de toute une vie à croquer. Et quand ils ont fini par se marier, le jeune homme lui a dessiné une Sainte Vierge à vélo car paraît-il, c’était elle la sainte patronne des cyclistes. Le garçon qui raconte ce délicieux conte sentimental dit aussi qu’il a toujours conservé le dessin en question. Et lorsqu’il mange des cornichons salés, la Vierge Marie dessinée le regarde « du coin de l’œil », avec un « sourire à peine perceptible ».
Traduites de l’ukrainien par Justine Donche-Horetska, ces « Histoires sur les roses, la pluie et le sel » ont cette cette séduction particulière d’un propos général qui s’affranchit des grandes questions à la mode. On y fait la connaissance d’un moine bègue, d’un chien-loup, ou encore d’une Madone de la pluie. Et ce qui contribue à la valeur de l’ensemble, c’est le sel. Cette denrée que l’on trouve saupoudrée entre les lignes et jusque dans certains titres. Avec ses effluves quelque peu iodées, ce livre promeut, sans jamais se payer en mots exagérés, le parfum précieux de la condition humaine et de ses foyers.
Cet ouvrage bien à part, rend donc caduques ou dérisoires toutes les urgences qui nous martyrisent sans répit. Il crée une heureuse diversion. Dans la cuisine tout à l’heure, on entendra le bruit du cornichon salé qui craque sous la dent. De quoi prendre des forces avant d’aller pédaler entre deux rangées de tilleuls qui nous emmèneront Dieu sait où.
PHB
« Histoires sur les roses, la pluie et le sel ». Dzvinka Matiyash. Éditions Bleu et Jaune, 22 euros
Joli ! Ça nous parle d’un temps où l’on allait voir sa grand-mère sans cocher la case « déplacement pour motif familial impérieux » ! Quant à enfourcher une bicyclette… Mais ça, c’était avant. On lira avec bonheur en attendant l’après.
Hello Philippe, merci pour cet avant goût de lecture par ces temps chaotiques. Cela me rappelle le livre de Philippe Torreton « Mémé », sur les souvenirs de sa grand-mère, d’une grande poésie également. Un livre de plus à découvrir. Merci. Denis D
Il m’est déjà délicieux de lire vos lignes, d’imaginer celles du livre, de projeter de le lire, de l’intégrer à ma bibliothèque…
Il m’est délicieux de penser qu’une fois lu et perçu ce que j’en ressens, je saurai avec qui j’aurai le goût de le partager, à qui j’aurai l’idée de le conseiller, à qui j’aurai coeur à l’offrir.
Alors, quand ce sera possible, je le commanderai à ma libraire préférée et en suggèrerai l’achat à la médiathèque du petit bourg voisin.
Mais d’ores et déjà, merci à vous !
Beau texte, comme d’habitude, dont la lecture offre une échappée belle, hélas, uniquement imaginaire. Merci pour ce vol aérien au parfum d’herbes de prairie et à l’empreinte carbone inexistante
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