Les gandins ont eu une très courte carrière. On appelait ainsi les élégants qui déambulaient de 1815 à 1828 sur le boulevard de Gand qui allait devenir, à Paris, le boulevard des Italiens. « Ah il veut faire le gandin à son âge » écrivit un jour Feydeau. Tout ça pour dire qu’une recherche de mot classique dans une encyclopédie conduit l’utilisateur à tomber sur des termes inattendus. En l’occurrence en cherchant « gramme » qui a servi de suffixe à nombre de mots comme organigramme, calligramme ou encore dactylogramme. Ce faisant on s’approche du sujet de fin de semaine. En créant son premier calligramme, Apollinaire aurait pu dans la foulée créer dactylogramme mais il était déjà pris pour signifier « empreinte digitale ». Ce n’était pas forcément pertinent. D’ailleurs le temps a fait son tri.
L’esprit d’enchaînement nous fait ainsi dévier sur dactylographe qui lui aussi a disparu de la circulation. C’est un mot qui a pris son sens actuel vers la toute fin du 19e siècle et qui était là pour dénommer celui ou celle écrivant à la machine. Or il s’est évaporé du langage courant quand bien même de nos jours, tout le monde écrit sur un clavier, qui sur celui de son téléphone, qui sur celui de son ordinateur. La dernière machine à écrire avec ruban est sortie en 2011 depuis une usine indienne, rayée de la carte par les terminaux informatiques. Il reste à Lausanne le musée de la machine à écrire avec plus de 500 modèles exposés dont un avec un clavier chinois comprenant 2450 caractères (1). Seuls les claviers sont restés avant d’être jour définitivement remplacés par la commande vocale ou la télépathie homme/machine.
En tout cas, lorsque John Steinbeck rédigeait sa prose sur une machine à écrire, il était d’abord dactylographe avant d’être écrivain. On peut penser que le premier terme était moins noble puisque « la dactylo » était avant tout une secrétaire qui commençait les courriers de son patron avec la célèbre formule « en réponse à votre honorée du tant ». Le travail de secrétariat proprement dit excluait à vrai dire toute initiative créative et c’est sans doute pour cela que nombre d’auteurs préféraient se présenter comme écrivains. Quand il conçut « Zone », Apollinaire, cherchant l’esprit moderne, avait cité « les belles sténo-dactylographes ». Comme on l’apprend dans le livre de Peter Read sur les « lettres, calligrammes et manuscrits », Apollinaire avait ajouté « sténo » sur l’ultime mouture, tout à sa quête de coller à son idée de l’esprit moderne. Si notre poète favori avait utilisé un ordinateur, on ne saurait rien de tout ça, car les ratures ont été éradiquées par l’informatique.
L’on disait donc dactylo en pensant à une secrétaire à chignon. Le poisson volant dactyloptère ou le dactylozoïde à la manœuvre dans une colonie d’hydrozoaires venaient moins souvent à l’esprit. Ainsi comme dans « am stram gram, pic et pic et colégram », le mot dactylographe n’aura bientôt plus aucun sens, sauf à ce qu’une coupure de courant générale et prolongée nous fasse rechercher au grenier, l’Olivetti , l’Underwood ou la Remington qui symbolisaient si bien voici quelques décennies la modernité en marche.
Quitte à revenir tant qu’à faire au stylographe, stylo-bille ou stylo-plume dont l’usage lexicologique résiste bien mieux dans le temps que la plume d’oie. Et d’ailleurs, afin d’achever cette laborieuse digression de dactylographe astreint à une production quotidienne tout en gardant le lit (ceci expliquant cela) on notera que stylographe désignait un objet et non pas la personne qui s’en servait. C’est agaçant mais c’est ainsi.
Pourtant il serait plus simple de se prétendre dactylographe. Se présenter comme écrivain engendre tout un fatras de fantasmes chez l’interlocuteur qui feraient trop vite du premier un potentiel Camus. C’est bien trop lourd à porter. Se dire écrivain c’est déjà se vanter sauf à dire écrivain public lequel émarge à un registre bien plus modeste. Dactylographe n’oblige en rien et ne présume pas des succès ou échecs futurs. Mieux, il peut décourager la curiosité. Le terme permet aussi d’aller faire en toute décontraction le gandin sur les boulevards et s’y désaltérer d’une bière sans traîner le poids et les misères qui filent le train des écrivains.
PHB
A propos : l’admirable Dans le jardin des mots de Jacqueline de Romilly. De Fallois, 2007.
Ainsi le gros rhume serait devenu grippe, vous obligeant à déserter les boulevards pour le lit ? Laquelle est heureusement sans effet sur votre esprit non plus que sur votre plume, toujours si vive et élégante. Soignez-vous bien et guérissez vite !
ô pauvre gandin astreint à la gamberge au fond de son lit.. A t’il , au moins, pour se consoler, le beau stylo plume à la petite étoile blanche ?, Balade plus poétique que les doigts sur un clavier olivetti .. Quoique ???? Fantasmez sans modération . merci