À 80 km de Shanghai, la petite ville touristique de Tongli abrite le premier musée de la sexualité jamais ouvert en Chine. Ce petit bijou, fondé par un professeur de sociologie en 2000, n’attire pas les prudes Chinois venus nombreux visiter Tongli. Il est pourtant une excellente introduction à l’histoire de la sexualité de l’Empire du milieu et présente une collection insolite de sextoys historiques.
Le mois dernier, l’épisode 1 de Chine Sexe and sun, laissait les lecteurs à l’entrée du musée fondé par le professeur Liu Dalin. Après 20 années dans l’armée chinoise, cet ancien officier, né en 1932, étudiait la sociologie à l’université de Shanghai. S’intéressant à la sexualité, cet érudit publiait un ouvrage de référence, « l’Empire du désir », dans lequel il explorait 4000 ans d’histoire de la sexualité chinoise.
Et pour comprendre le comportement sexuel de ses compatriotes dans la Chine moderne, il menait une grande enquête auprès de 20.000 Chinois. Ce véritable rapport Kinsey de l’Empire du milieu a montré à Liu Dalin que les mentalités chinoises se sont refermées au fil du temps. L’art raffiné de l’alcôve a perdu ses lettres de noblesse. Aujourd’hui, le sexe est souvent considéré comme vulgaire et l’ignorance des Chinois en la matière est grande.
La politique de l’enfant unique, instituée par Deng Xiaoping en 1979 (abandonnée en 2015) a eu des conséquences dramatiques pour les contrevenants. Avortements forcés, quelquefois très tardifs, mises au ban de la société et amendes lourdes ont été le prix qu’ils ont payé. Dans la vie de tous les jours, les couples n’osaient même plus se tenir la main en public de peur d’être stigmatisés. Dans cette conjoncture peu propice à une libido épanouie, on peut comprendre que les Chinois se soient détournés du sexe, souvent devenu un sujet tabou voire obscène. Pour porter remède à leur ignorance, Liu Dalin a décidé d’ouvrir un musée de la sexualité. Il veut « décoincer » les Chinois pudibonds d’aujourd’hui en leur montrant qu’autrefois la sexualité était libre et que les anciens la considéraient comme une chose positive et un art.
Pendue au-dessus de la porte de l’un des pavillons du musée, une enseigne suggestive, un double sexe sculpté dans le bois, donne le la. Tout, tout, tout, vous saurez tout sur le sexe… C’est la première impression, un peu décevante, que laisse le déploiement de grands panneaux didactiques sur de nombreux thèmes : Évolution des espèces, religion, prostitution, variété des comportements, homosexualité, déviation sexuelle, monogamie, mariage, union du Yin et du yang, lotus d’or, idéogrammes sexuels… Autant le dire, sur la forme et le fond, les panneaux sont poussiéreux. Aussi didactiques soient-ils, leur lecture n’enseignera pas aux jouvenceaux l’art de « manger les cerises sous l’arbre* » (faire l’amour), ni celui de titiller « la perle de jade* » (clitoris).
L’Empire du désir nous révèle ses voluptés dans d’autres salles où l’on découvre les sextoys chinois antiques, chinés depuis des décennies par Liu Dalin. C’est en puisant dans sa collection de 1400 objets sexuels historiques que le professeur a illustré l’histoire de la sexualité chinoise. On y trouve des pièces classiques à l’instar des poteries millénaires ornées de dessins érotiques de « renardes enjôleuses »* qui décoraient les bordels. Ou encore, des petits vases aux dessins suggestifs glissés dans les trousseaux des jeunes mariées pour les déniaiser, par exemple, la renarde « jouant de la flûte de jade »* (pratiquant une fellation). On y trouve aussi de petites merveilles d’imagination. Comme le note Liu Dalin, en Occident les objets sexuels sont en général sans ambiguïté. En Chine, on ne peut pas toujours dire en les voyant de l’extérieur à quoi ils servent. Ainsi « l’oreiller des nonnes » du XVIe siècle, un godemiché dissimulé dans un oreiller chinois. Ou encore, « le trésor des veuves » (image ci-contre), lui aussi enchâssé dans une boîte anodine. Cette main utilisée pour gratter le dos (activité dont les Chinois sont friands) est prolongée par un godemiché. En faisant monter la marée du Jing, ce trésor permettait aux veuves de joindre l’utile à l’agréable.
Les pièces exposées dans la section consacrée à la prostitution offrent une évocation de l’atmosphère des bordels : lits de courtisanes de haut rang, chaises pour pratiquer des positions aventureuses (NDLR. S’agit-il de « l’approche du tigre » ou « l’envol du phénix »?), boîtes remplies de godemichés, poteries et images licencieuses, etc. Dans d’autres sections, les objets qui témoignent des tortures autrefois infligées aux femmes donnent froid dans le dos. Si, la polygamie – abolie par le parti communiste en 1950 – était érigée en coutume, les femmes avaient, elles, un absolu devoir de fidélité.
Pas question de s’y soustraire comme le montrent les ceintures de chasteté du musée ou pire encore la selle punitive (image d’ouverture) avec un pénis encastré en bois. Les femmes volages étaient dénudées, on leur attachait les mains dans le dos et elles étaient assises des heures sur cette selle dont on relevait le pénis. Une salle est consacrée à ce qui constituait peut-être la plus cruelle des tortures, le « lotus d’or ». Sous ce nom chatoyant se cache la coutume des pieds bandés qui a perduré mille ans dans les classes aisées. Le pied parfait, d’une taille de 7 cm environ devait évoquer un bourgeon de lotus (photo ci-dessous). On lit dans une vitrine que si l’objectif principal de cette coutume était d’entraver la liberté de la femme, la légende disait aussi que la façon dont la femme marchait avec les pieds bandés resserrait ses muscles sexuels ce qui procurait plus de plaisir à l’homme.
Pour Liu Dalin, le musée se doit de lever le voile sur le mystère du sexe mais aussi de nous mettre en garde contre ses revers. Il condamne les coutumes jugées contre nature telles la prostitution, les pieds bandés et les eunuques. L’art d’aimer est celui de partager une sexualité épanouie pour chacun des deux partenaires. Ce qui, dans le langage poétique de la littérature chinoise et du Tao sexuel, pourrait se résumer à : L’art avec lequel la tige de jade franchit la barrière de corail pour rencontrer la fleur ouverte dans le palais de cinabre et ensemble atteindre le paradis des brumes et des fleurs*.
Lottie Brickert
* Les différentes expressions idiomatiques ci-avant sont tirées de la traduction du Tao sexuel.
J’attendais la suite de l’épisode 1, je ne suis pas déçue. Merci Lottie!
Encore ! encore ! encore !… je veux en savoir plus sur ce musée. Oh ouiiiii ! La place de la sexualité dans la Chine moderne me laisse plus que jamais perplexe sur la « dynamique » de ce pays-civilisation qui a inventé tant de choses extraordinaires. Et qui est engagé depuis des décennies dans un cercle, n’ayons pas peur des mots, vicieux.
En France, les amoureux croquent la pomme ; en Chine, ils mangent les cerises sous l’arbre… C’est bien plus poétique que les godemichés (du latin : gaude mihi : réjouis-moi).
Après avoir croqué la pomme, l’amoureuse a vu le loup ; mais quand elle a mangé les cerises sous l’arbre, reste-t-elle une renarde enjoleuse? Lottie, un épisode 3 me paraît nécessaire pour nous apporter la réponse.
A quand un musée de la sexualité française ? 😉
S’il existe déjà, je compte sur toi, Lottie, pour nous en déflorer la nature !
A l’heure des sextapes, cela signifie-t-il que nous avons une sexualité débridée ?
J’attends ton enquête toujours aussi passionnante sera-t-elle !