Après la mort on ne sait pas bien. Ces projections de paradis, de purgatoire ou d’enfer, c’est probablement des histoires. Au cinéma en revanche, il y a les trois, mais c’est rarement le sujet. Avec « It must be heaven », Elia Suleiman nous donne justement une possibilité de paradis. Il en est le réalisateur et aussi l’acteur. Et de surcroît, il interprète un personnage qui quitte sa Palestine pour proposer un scénario, d’abord à Paris puis à New York. Comme Jésus, il est natif de Nazareth mais un peu plus tard, en 1960. L’itinérance qu’il raconte est un prétexte pour juxtaposer des séquences étranges, belles, parfois humoristiques, qui n’existent pas dans la vraie vie du moins avec la continuité qu’il nous livre sur une heure et quarante deux minutes.
Le film est une bonne surprise. On situe vite les ficelles du procédé général mais ce n’est en rien gênant. « It must be heaven » se dégage, on le comprend vite, du lot commun des sorties en salles. Chaque séquence fait éclore une nouvelle idée, une nouvelle ambiance, où le spectateur trouve ses aises. Quant on évoque la Palestine, on pense tout de suite au conflit territorial qui marque la région et ses différentes populations. Pas ici. Il nous montre une maison, une ruelle, des citronniers, un café, une église de rituel grec-orthodoxe, quelques voisins, une porteuse d’eau rupestre, bref un endroit à l’abri des guerres, un lieu pas loin d’être paradisiaque qui nous donne envie de nous y transposer. Son personnage ne parle jamais, il faudra attendre beaucoup plus tard, pour qu’il consente à lâcher trois mots. D’emblée le film nous cueille avec un propos original, rare, dont il est possible, s’il le fallait, de déceler çà ou là certaines influences en provenance d’un Jim Jarmusch ou d’un Wim Wenders.
Son personnage, qui se confond largement avec lui-même, quitte la Palestine pour Paris, dans le vague but d’aller y proposer un scénario. Qu’on lui refusera précisément parce que son texte ne correspond pas à l’idée générale que l’on se fait de la Palestine. « Cela pourrait se passer partout ailleurs » lui oppose-t-on pour justifier un refus poli. Avec son chapeau vissé en permanence sur le chef et ses lunettes à grosse monture, il se balade dans Paris. Il s’y aperçoit que le monde s’offre à lui de la même façon qu’en Palestine. Il y enchaîne les épisodes à la fois irréels, loufoques et charmants. Comme ce moineau qui s’invite dans sa chambre. Le petit volatile persiste à atterrir sur le clavier de son ordinateur, l’obligeant à le chasser avec le même geste qu’il fallait effectuer dans le passé, pour ramener sur le côté le chariot de la machine à écrire. Elia Suleiman fait durer la séquence et bizarrement on ne s’en lasse pas. Le temps ne s’écoule pas de la même façon que dans le monde réel et c’est là sans doute, une vision de paradis. Le réalisateur commet ici un exploit en nous montrant une ville où tout est beau (sans travaux), une ville où, comme en Palestine, chaque personnage rencontré s’applique à le distraire et nous avec. Au point que l’on est tout à fait mûr pour le suivre à New York.
Là-bas, en plein centre de Manhattan, le processus onirique va se poursuivre. De fait son film agit comme une songe dont on se souvient au réveil avec l’impression d’avoir vécu quelque chose de bizarre. C’est là-bas qu’il va prononcer trois mots, juste pour dire à un chauffeur de taxi éberlué, « oui, je suis un Palestinien ». Nous le voyons plus tard juché sur un fauteuil de bar. Et son voisin lui fait cette remarque drolatique, soit en substance: « partout dans le monde chacun boit pour oublier, vous les Palestiniens, vous êtes les seuls qui buvez pour vous souvenir ».
Le destin protège le personnage de la brutalité du monde. « Autant vivre dans un film » nous confie d’une certaine façon Elia Suleiman. Et tant qu’à scénariser ainsi sa propre vie, autant revenir dans la maison de Nazareth. Rien de tel en effet qu’un séjour prolongé à l’étranger pour renouer les fils qui nous relient au pays d’origine, la démonstration a été maintes fois faites par maints auteurs. Celle d’Elia Suleiman est suffisamment convaincante pour nous donner envie d’aller chercher à Nazareth le bonheur que l’on ne sait pas toujours saisir à Paris. Il faut bien admettre qu’en ce moment, c’est loin d’être évident.
PHB
Un personnage quittant sa le Palestine?
Qui quitte!
Cjrieux
Avec un titre pareil, comment ne pas penser au très merveilleux « Heaven can wait » de Lubitsch, ou bien au remake qu’en fit Warren Beatty 35 ans plus tard, qui a son charme mais ne peut se mesurer à Lubitsch.
Suleiman peut-il se mesurer à Lubitsch?
C’est peut-être toute la question….
Du reste, son copain Gaël Garcia Bernal, croisé dans le hall d’une productrice new-yorkaise se trompe et présente le film sous le titre « Heaven can wait », ce qui fait tiquer Suleiman. Qui pourtant ne doit pas détester Lubitsch… trop bavard?
Suleiman est souvent comparé à Buster Keaton. Mais il a son univers bien à lui, qui peut se passer de comparaisons.
Votre papier est remarquable et donne envie d’aller voir ce film, qui me laissait perplexe au premier abord.
Merci à vous.