En ce mercredi de novembre 2019, une petite dizaine de personnes eurent l’immense privilège de visiter le Louvre en compagnie d’un guide pour le moins exceptionnel, l’artiste plasticien Jean-Michel Othoniel. Alors que ses peintures de roses reposent désormais pour l’éternité au sein des niches de la Cour Puget, l’artiste nous conviait à une visite du musée à travers la symbolique des fleurs. S’il est essentiellement connu pour ses installations et sculptures en perles de verre colorées, Othoniel excelle également dans la création d’herbiers artistiques, tel son nouvel “Herbier merveilleux”, les plantes n’ayant apparemment aucun secret pour lui. Botaniste à ses heures donc, doté d’une âme de conteur, l’artiste a le don de faire partager sa passion et d’éclairer le regard de son auditoire. Après une telle visite et avec un tel ouvrage, débusquer la petite fleur dans un tableau devient un véritable jeu.
Pour répondre à l’invitation du musée du Louvre à célébrer, au printemps dernier, les trente ans de sa Pyramide, le créateur du “Kiosque des Noctambules” (1) a réalisé un précieux abécédaire, “L’Herbier Merveilleux. Notes sur le sens caché des fleurs du Louvre”, dévoilant ainsi la signification de près d’une centaine de fleurs recueillies à travers les milliers que comptent les œuvres du plus grand musée du monde.
Il faut dire que celui qui n’a cessé, depuis son adolescence, de rassembler textes et notes sur la signification des fleurs, n’en est pas à son premier herbier. Loin de là. En 2008 déjà, “L’Herbier Merveilleux. Notes sur le sens caché des fleurs dans la peinture” voyait le jour chez Actes Sud. L’artiste y évoquait, à travers textes et illustrations, le langage des fleurs. Quatre années plus tard, une exposition collective au musée Eugène Delacroix, “Des Fleurs en hiver”, avec pour thématique la nature en tant que source d’inspiration, en présentait de nombreuses planches. En écho à l’œuvre de Delacroix, s’inspirant d’un liseron et d’une anémone trouvés dans les carnets de dessins du Maître, Othoniel avait même réalisé pour l’occasion ses premiers nœuds de perles, “Le Nœud de Delacroix” et “Ranunculaceae Knot”, l’amorce d’une importante série.
Ce nouvel herbier est le fruit des déambulations de l’artiste plasticien à travers les salles du Louvre, ce musée qu’il connaît comme sa poche pour en avoir été gardien pendant ses années d’étude. Au cours de ses recherches, il a ainsi su repérer des détails de fleurs qui, de manière souvent fort subtile, viennent expliquer la symbolique de l’œuvre, cette symbolique très puissante dans les peintures anciennes, un peu comme une deuxième histoire qui viendrait s’ajouter à la première.
Ce livre apporte un éclairage tout aussi savant que nécessaire à nombre de chefs-d’œuvre répartis dans les huit départements du musée : fleurs peintes bien évidemment, mais aussi sculptées, dessinées, brodées, voire émaillées… Ainsi la présence de deux fritillaires (plantes herbacées vivaces, ndle) dans une peinture de Pierre Paul Prud’hon (1758-1823), “Le Roi de Rome endormi” (1811), n’a-t-elle rien d’anodin, bien au contraire. Cette fleur d’origine asiatique étant devenue alors le symbole impérial, les deux fleurs représentent en réalité l’Empereur et l’Impératrice penchés sur leur enfant assoupi afin de le protéger durant son sommeil. La lecture de l’œuvre ne prend, par conséquent, réellement son sens que pour un spectateur averti. Plus discrète, la présence au pied de Cupidon d’un bouton-d’or, appelé également “renoncule”, dans “Psyché et l’Amour” (1798) de François Gérard (1770-1837) : exprimant “la joie d’aimer, la joie en général, la pureté, la tendresse, mais aussi l’amour passionné qui reste célibataire”, comme nous en informe Othoniel, cette fleur vient ici illustrer l’histoire d’amour des deux personnages avec ses péripéties à venir. L’existence de quelques iris blancs auprès de l’enfant Jésus dans “La Vierge aux rochers” (1483-1499) de Léonard de Vinci (1452-1519) revêt, elle aussi, une force annonciatrice. Premier emblème de la royauté française, bien avant le lys, mais aussi signe de foi et de pureté, cette fleur présage ainsi la future royauté du Christ. Le coquelicot, en revanche, présent dans nombre de peintures religieuses, évoque la mort du fils de Dieu sur la croix car “les gouttes de sang du Christ touchant le sol auraient donné naissance à cette fleur rouge”. Quant aux pivoines, symboles de la honte, retenues dans son tablier par la jeune fille peinte par Greuze (1725-1805), dans “La Cruche cassée” (1771), elles ne sont bien évidemment pas là par hasard…
De l’acanthe (Acanthus) au volubilis (Ipomoea grandiflora), nom scientifique, allégorie et illustration à l’appui, ces végétaux, symboles des sentiments, mythes et passions, nous instruisent de la plus jolie des manières sur le sens de nombreuses œuvres. Muni de ce bel ouvrage, il devient alors plus aisé d’aller percer quelques mystères au sein des chefs-d’œuvre du Louvre et désormais impossible de confondre une pivoine avec une rose…
Isabelle Fauvel
(1) Des perles et des couleurs, chronique du 14/06/2018 dans Les Soirées de Paris
“L’Herbier Merveilleux. Notes sur le sens caché des fleurs du Louvre” de Jean-Michel Othoniel, coédition Musée du Louvre – Actes Sud, parution mai 2019, 208 pages, 35 euros
Site de l’artiste Jean-Michel Othoniel
Les œuvres de briques de Jean-Michel Othoniel, chronique du 21/05/2019 dans Les Soirées de Paris
Les pivoines symboles de la honte ? Mais pourquoi donc? La littérature asiatique les vénère…
En Chine, la pivoine est, en effet, considérée comme la reine des fleurs. Elle évoque la noblesse, l’opulence, l’honneur et incarne l’amour. Mais, en France, c’est apparemment différent… On lui prêta au Moyen Age des vertus curatives particulièrement puissantes, notamment pour soigner les maladies mentales et conjurer les mauvais sorts jetés par magie. Mais sa signification changea vers la fin du 18ème siècle.
L’herbier de Jean-Michel Othoniel évoque la symbolique des fleurs dans les différentes cultures, puis la contextualise par rapport à l’oeuvre d’art évoquée.