Par « grande », il faut entendre « haut niveau gustatif », encore que le titre de cette chronique pourrait laisser supposer une allusion à la fameuse orgie culinaire du film de Marco Ferreri sorti en 1973. Mais, on s’en doute, c’est fait exprès. En mode bio, Marco Ferreri aurait probablement dû se contenter d’un court métrage afin de signifier combien il est important de préserver la ressource et le climat. Si un réalisateur se piquait de faire un remake, il pourrait au moins extirper de ce livre qui vient de sortir, « La cuisine d’un monde qui change », de savoureuses recettes caractérisées par une empreinte carbone faible, préoccupation toute nouvelle dans la mesure où nous sommes désormais plus de sept milliards à puiser dans les stocks terrestres. « Ces pages, indique son auteur Géraldine Meignan, visent à changer le cours tranquille de nos habitudes culinaires » sans que cela ne soit pris pour une punition.
Voire. Au chapitre « On mitonne », il est nous est ainsi suggéré de participer à des « Disco Soupe », un concept né en Allemagne où il s’agit entre voisins d’élaborer un vaste potage au pied du domicile en valorisant des légumes « abîmés ou invendables » avec des encouragements de musiciens venus prêter main-forte via un habillage sonore. Cela demande réflexion et si, à tout prendre, il ne vaudrait pas mieux une franche séance d’écologie punitive au martinet mouillé.
Mais l’auteur a presque réussi le tour de force de nous concilier avec la problématique environnementale grâce à une narration davantage permissive que culpabilisante et émaillée de recettes qui il est vrai, donnent l’eau à la bouche. Sachant que celle qui tient la plume est aussi chef cuistot à l’occasion: « l’arancini avec un reste de risotto », « les oeufs pochés au bouillon d’herbes », le « potage butternet-topinambours » et les « pieds de cochons grillés », donnent clairement envie de se lancer. D’autant que la viande n’y est pas interdite et que le chapitre concerné , « On pâture », explique comment ne pas renier notre long passé de carnivore. Géraldine Meignan, qui connaît l’économie de la bouffe et de la malbouffe pour avoir enquêté et publié plusieurs fois sur ce thème, nous éclaire sur les voies vertueuses que l’on peut emprunter sans renoncer aux merguez. Elle nous enseigne notamment qu’un kilo de viande produit, rejette autant de gaz à effet de serre que 220 kilomètres en voiture pour le boeuf, l’agneau de ou le veau et que cela représente également 35 kilomètres pour la volaille. C’est pourquoi, gourmande elle-même, elle nous détaille comment choisir la viande et, une fois déculpabilisés, de quelle quelle façon il est possible de déguster en famille ou entre amis, un chili con carne à la queue de bœuf. De surcroît on apprend que l’on peut dans la vie de tous les jours profiter de « l’exception Marco Polo » qui permet de temps à autre et sans excès de déguster un ananas en plein mois de janvier. C’est très chic de sa part.
L’urgence climatique est pour l’auteur un postulat indiscutable auquel il est possible d’apporter un remède sans pleurer devant nos assiettes, au contraire. Les choses, estime-t-elle, devraient avancer plus vite avec les générations écloses en pleine ascendance des températures. Pour les générations précédentes il y aurait par contre un effort à faire, des emplettes jusqu’à l’assiette et ce livre fait en l’occurrence office de guide pratique. Dans le même temps, il offre aux lecteurs les connaissances qui leur manquaient, notamment dans le maquis des étiquettes plus ou moins bio, celles qui permettent d’acheter « raisonné » sans forcément se ruiner. Le côté militant du livre reste tout à fait supportable et même garanti sans injonction à s’équiper de toilettes sèches. On applaudit ainsi à la recette du « Rhum arrangé orange-café » lequel devrait permettre au lecteur de se remettre de cet (aimable) manuel de rééducation des papilles. Et donc de lever son verre à la bonne santé des ours.
PHB
« La cuisine d’un monde qui change », Géraldine Meignan, les éditions de l’épure, 12 euros/ Dédicace ce samedi 23 novembre à la librairie l’Esperluète à Chartres de 14 à 18H.
PS: Le monde étant bien fait, nous avons été déjeuner dans la foulée de la rédaction de cette chronique dans un restaurant qui prône aux fourneaux, à la carte et bien évidemment jusque dans l’assiette, le même chemin vertueux que celui sus-mentionné. Cela se passe aux « Loupiotes », 3 rue Jules Vallès dans le 11e arrondissement. Vingt sur vingt pour le coleslaw à la cacahuète, puntanelle et coriandre, même note pour le potiron farci au chorizo, fromage blanc et mesclun. Le dessert était du même niveau avec une savoureuse tarte tatin. Le verre de chablis valait également compliment pour son élégance et sa subtilité. Le tout grâce à Fanny, une patronne qui sait accueillir ses clients.
Bravo Philippe!!!!!!!!!Que des encouragements à devenir bio des pieds à la tête!