À l’écran d’une vidéo on peut voir Sally Mann secouer doucement un flacon de collodion. Le liquide épais a un aspect orangé. La photographe américaine a utilisé ce produit découvert au 19e siècle lequel permettait, dans le domaine de la photographie, de limiter les temps de pose à moins d’une minute. Pendant qu’elle enduit de cette substance une plaque photographique, elle montre à la caméra quelques points de poussière qui viennent souiller la surface. Et c’est précisément ce qu’elle recherche, la dégradation du résultat final là où d’autres s’obsèdent de la netteté. En cherchant l’imperfection et mieux encore en l’exploitant, c’est ainsi qu’elle obtient de remarquables tirages qui font actuellement l’objet et jusqu’au 22 septembre, d’une exposition au Musée du Jeu de Paume.
Sally Mann est née en 1951 à Lexington dans l’État de Virginie. Durant quarante ans, elle photographie les paysages de sa géographie natale afin d’en valoriser la beauté particulière et d’en révéler la poésie cachée. En prenant la liberté de s’affranchir des procédés visant à à un rendu impeccable, orthodoxe, elle obtient des clichés d’une sensibilité toute particulière, revisitant en cela, l’insipidité des cartes postales. Elle confère à une étendue d’eau, un simple sous-bois, une dimension onirique, superposant à une réalité tranquille une brume poétique, une réécriture des lieux. Elle soustrait une perfection pour la remplacer par une autre, en jouant sur la variabilité de tous les moyens disponibles.
Cette première rétrospective de l’artiste nous montre aussi comment, de 1985 à 1994, elle a photographié ses jeunes enfants, soit en les surprenant dans leurs activités soit en requérant leur concours afin de scénariser une prise de vue longuement préméditée. Sally Mann emprunte avec eux le même cheminement technique que pour ses paysages. Ce qu’elle obtient là-aussi est très éloigné de la photo de famille traditionnelle. Elle réussit à figer ses enfants dans l’interrogation et non dans la conformité d’une vision heureuse. On les voit nus et on lui reprochera, dans une époque, qui progressivement, devient hautement puritaine, soupçonneuse par réflexe. Plus tard ses trois enfants prendront à juste titre la défense de leur mère. En 1992, elle publiera un ouvrage de 60 images intitulé « Immediate family ». En 2004, elle reprendra le travail sur sa progéniture entrée dans l’âge adulte avec des portraits rapprochés et des temps de pose démesurés, jusqu’à trois minutes. Et elle détournera aussi son objectif vers son mari, dont elle fixera la dégénérescence, qu’une dystrophie musculaire inflige à son apparence.
C’est la photo partielle d’un homme, justement, qui nous est donnée à voir dans ce parcours scénographique réussi. Elle est intéressante en ce qu’elle concentre autant que possible, tout le savoir-faire, toute l’approche artistique de Sally Mann. On ne voit qu’une partie du visage, du torse et surtout, un bras levé et comme marqué par un cratère au niveau du coude. Le cadrage est parfait. Il montre beaucoup comment, en cumulant les altérations du tirage, la diffraction de la lumière naturelle, la distorsion, la saturation, Sally Mann rehausse et souligne l’objectif du propos. La photographe réussit ce faisant à calquer de la beauté sur la banalité anatomique, démontrant par là que le dévoiement des procédés n’est en rien gratuit. Comme Man Ray en son temps, elle cherche, expérimente, explore de nouvelles voies, agrandit la surface des possibles provoquant une sorte de dépaysement artificiel. Tout comme le titre de l’exposition l’indique d’ailleurs avec une pertinence bien trouvée, Sally Man crée et explore ses ses propres voies .
PHB
« Sally Mann, mille et un passages » Musée du Jeu de paume. Jusqu’au 22 septembre
La technique n’étant toujours qu’uniquement au service du talent, sans doute que le sien ne tenait donc pas uniquement en ses bricolages et en sa petite cuisine…comme semble bien le suggéré l’article.
Voilà qui donne envie d’aimer la rentrée !