« Sapristi! qu’il fait chaud« . Ainsi parlait Tintin à son chien Milou en raccrochant son téléphone dans « L’étoile mystérieuse ». L’album est apparu en 1946, une année sortant de l’ordinaire où l’on avait skié sur les hauteurs de Ville d’Avray. Dans cette histoire, l’élévation de la température est due à une étoile -mystérieuse- qui se rapproche de la Terre. Sur le bitume qui fond, un vieux fou agite une clochette en prédisant la fin du monde. Cette histoire préfigurait « Melancholia », le film de Lars Van Trier sorti en 2011 où contrairement aux aventures de Tintin, la collision fatale avec l’étoile mystérieuse se produisait vraiment. Et voilà qu’à Paris une grosse chaleur s’est abattue, bien moins importante qu’en 1911 au hasard (deux mois d’affilée), mais qui peut donner envie de boire une bière bien fraîche.
Sauf que les temps ont changé les quantités. Il faut bien acter la disparition du demi au profit de la pinte. Autrefois, mais quand même il n’y pas si longtemps, l’honnête buveur de bière se désaltérait avec 25 centilitres de mousse. S’il voulait le double il commandait un « formidable » soit l’équivalent de la pinte dont le nom, dans son utilisation actuelle, vient de l’autre côté de la Manche (1). S’il était franchement raisonnable il se contentait d’un bock, comme le « Bel-Ami » fauché de Maupassant, sachant que le bock est la moitié d’un demi c’est à dire le quart d’une pinte. Comment apprendre les fractions en se désaltérant: disons que si les garçons de café faisaient du sur-mesure on pourrait envisager de leur demander un 4/5e de pinte voire un 3/8e mais ce sera assurément pour plus tard. Le système n’est pas encore au point. Les nerfs des Parisiens sont déjà à vif. Ce n’est pas le moment de leur ajouter des tourments.
Oui le temps passe et les normes avec. Le 24 juin dernier, l’Institut national de l’audiovisuel diffusait sur Twitter un reportage sur la tendance pour les gens du Nord à se désaltérer avec de la bière. Ce court extrait d’actualité datait de 1975, c’est à dire une époque où maints lecteurs actuels des Soirées de Paris étaient déjà nés. On y apprenait d’une part (bien que ce ne fut pas encore la grosse canicule qui allait faire les gros titres des journaux un an plus tard) qu’il n’y avait pas d’heure pour boire de la bière et que, d’autre part, le Comité national de défense contre l’alcoolisme (apparu en 1872) recommandait sous le septennat Giscard de ne pas boire plus de 1,5 litre de cette boisson, par personne et par jour. Quantité presque inavouable en 2019 quoique assez pratiquée si l’on observe ce qui s’engloutit communément aux terrasses des cafés. Garçons et filles confondus et là aussi c’est nouveau.
Pour ce qui est de la bière, les références ne manquent pas à commencer par celle, indépassable, du père d’Achille Talon (Greg) pour qui la vie sans bière était désespérante. Est-ce que cette BD prolixe qui vantait au fond un alcoolisme gargantuesque, rabelaisien, passerait de nos jours à travers les mailles de la police de l’hygiène? On peut en douter. L’on peut aussi se tourner vers « Pierrot le fou » le film de Godard sorti en 1965 dans lequel l’admirable Belmondo citait le non moins admirable Élie Faure (2) à propos de Velasquez (hors de propos mais on ne s’en lasse pas car c’est gratuit) : « L’espace règne. C’est comme une onde aérienne qui glisse sur les surfaces, s’imprègne de leurs émanations visibles pour les définir et les modeler, et emporter partout ailleurs comme un parfum, comme un écho d’elles qu’elle disperse sur toute l’étendue environnante en poussière impondérable » mais aussi un album (bien à propos cette fois) des « Pieds Nickelés » dans lequel il était dit: « Après avoir bouffé pas mal de kilomètres, ils arrivèrent en vue du désert de Bahionda qu’ils devaient traverser avant d’atteindre Khartoum. Zut ça manque d’ombrage maugréaient les Pieds-Nickelés en s’aventurant dans cette plaine de sable sous un soleil de feu. On serait bien mieux à l’ombre d’une demi-brune sans faux col et bien tassée ».
Nous sommes d’accord. Surtout si c’est pour observer la fin du monde ou du moins celle des espèces, celle que l’on nous promet si l’on ne vote pas correctement. Et à ce propos, quitte à nous éteindre comme des dinosaures, autant le faire en terrasse.
PHB
(1) Avant le système métrique, la pinte de Paris valait un litre, celle de Limoges, deux.
(2) Elie Faure, Histoire de l’Art, volume premier
Cher Philippe,
L’Étoile Mystérieuse, c’est 1941-1942… D’où les soupçons (bien étayés, quand on sait que le modèle pour Tintin était Léon Degrelle, le fasciste belge, celui qu’Hitler considérait comme son fils) d’antisémitisme dans cet album qui seront payés chers à la Libération par Hergé…
mais, au lieu de chercher la petite bête, je dois vous remercier pour ce bel article qui fournira de la fraîcheur dans cette journée annoncée terriblement torride..
Merci de votre précision cher Philippe. Je m’étais borné aux indications de copyright de l’album et sans doute 1946 doit correspondre à la parution sur le sol français. PHB
un album couleur est sorti en 1942. Reste à savoir, vous avez sans doute raison, si l’édition était purement belge ou peu distribuée en France faute de papier. Je sais qu’en 1945-1946 a été créé le Journal de Tintin, sans Hergé, épuré… justement à cause de l’Etoile Mystérieuse. Ce Journal de Tintin était distribué en France et a fait beaucoup pour la gloire outre-Quiévrain du reporter. Il reprenait les dernières aventures de Tintin, et sans doute L’Étoile mystérieuse expurgée du personnage du méchant nommé… Blumenstein et dessiné avec tous les stéréotypes antisémites…
Avant guerre, en France, Tintin devait surtout être connu des milieux de droite, du scoutisme en particulier.
bonjour
…et le ballon de rouge mais de bière c’est le « galopin »
mais ce n’est pas pour les enfants…
mhf
Dans les Landes, épargnées cette semaine par la canicule, un bock s’appelle un galopin,
le pain au chocolat cher à J.-F. Copé, une chocolatine, et les sacs plastiques qui étouffent les dauphins et autres créatures marines, des poches…