Le sans-faute de Paul Graham à la Whitechapel Gallery

L’hebdomadaire Time Out, la «bible» des sorties londoniennes l’a encensée et qualifiée d’exposition de la semaine. La rétrospective de l’oeuvre du photographe britannique Paul Graham mérite bien ce titre, et plus.

Ce sont d’abord des visages de Japonaises qui accueillent le visiteur, des visages pâles, dont l’expression est difficile à définir : étonnée, amusée et réservée à la fois. Des inconnues que l’on aurait voulu rencontrer mais dont on aurait jamais pu garder une si belle image. Paul Graham, lui, a su.

Puis, on passe derrière ce premier pan de mur, et c’est la misère sociale anglaise des années 80 qui saute aux yeux. On se trouve plongé dans l’univers sordide des salles d’attente des services sociaux qui attribuent les allocs. «Beyond Caring», ce sont des gens qui attendent, assis, avachis, ternes, des gobelets et des journaux froissés jonchent le sol des ces salles glauques. Au centre d’une des photos de la série, une seule personne se tient debout, une toute petite personne tout de rose vêtu. Du haut de ses 2 ou 3 ans, elle fixe l’appareil photo, un éclair d’espoir dans la misère résignée qui l’entoure.

Paul Graham: "Beyond caring" (1985) capture du site Whitechapel Gallery

En face de cette série poignante, le regard se pose et se repose de la misère des années Thatcher sur des paysages magnifiques aux allures de campagne anglaise. A première vue, on se demande ce que cette soudaine verdure, certes très joliment photographiée, apporte l’exposition. Puis l’oeil se fige sur un détail qui fait toute la différente : A la cime d’un arbre sans doute plusieurs fois centenaire et centré dans la photo, flotte l’Union Jack. Et la campagne n’est pas anglaise mais irlandaise.

Sur une photo voisine, c’est un hélicoptère qui vient déranger la tranquillité d’un autre paysage champêtre. On est en Irlande du Nord, au temps des “Troubles”, en pleine guerre civile -la série s’intitule «Troubled Land»- . Et plutôt que nous montrer le conflit en noir et blanc, au coeur des émeutes et des affrontements urbains, c’est la suggestion inverse que Paul Graham choisit volontairement. La violence des «Troubles» n’en est pas pour autant atténuée. Au contraire, les images du photographe montrent à quel point -jusqu’aux confins de champs déserts- le pays était imprégné par des décennies de conflits.

Quant à l’armistice, il choisit de la représenter par une série de tirages en noir et blanc qui représentent des cieux nuageux. Le titre de la série : «Ceasefire» (Cessez-le-feu).

Il est temps de monter à l’étage, de changer de continent et de découvrir la vision de Paul Graham sur l’Amérique où il vit aujourd’hui. Son oeil britannique et «social» se pose sur des quartiers de banlieue délabrés. Et son esprit suggestif et aventurier s’en donne à coeur joie. L’artiste n’hésite pas à toucher à la technique pour accentuer son message. Il surexpose ses images à outrance ou les assombrit en saturant les couleurs, comme s’il avait voulu se mettre à la place du citoyen moyen américain qui ne veut pas voir cette misère.

C’est sur ces images délavées ou trop foncées d’une Amérique qui manquent de nuances que l’exposition se termine, malheureusement, car on en demande plus. Le regard de Paul Graham sur le monde est captivant et sait, superbement, lier art et politique.

Bus converted to Café’, Layby, West Yorkshire, November 1982 Capture d'écran (Whitechapel Gallery)

 

Paul Graham à la Whitechapel Gallery jusqu’au 19 juin

 Voir un portfolio bien fait sur le site du Guardian

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