Nous pouvons voir la fastueuse collection Samuel Courtauld à la fondation Vuitton en ce moment tout simplement parce que des travaux de rénovation sont en cours au siège londonien du Courtauld Institute of Art et de la Courtauld Gallery à Somerset House, ancienne Royal Academy of Arts.
Ce qui nous donne l’occasion de voir une série de chef d’œuvres impressionnistes et post impressionnistes non montrés en France depuis l’unique exposition au musée de l’Orangerie en 1955, de ces œuvres que nous connaissons pour les avoir vues souvent reproduites dans les livres. Et comme tout l’espace du monde est disponible à la fondation Vuitton, on peut les regarder sans qu’elles se bousculent, placées souvent une par une sur un mur entier (mais hélas, parions le, au milieu de l’habituelle foule bruyante).
Nous faisant descendre et monter à divers niveaux, le parcours s’ouvre sur l’énigmatique et iconique « Un bar aux Folies-Bergère » (Salon de 1882) de Manet, montré pour la première fois à Londres en 1910 (justement choisi comme affiche de l’exposition), dont il est difficile de s’arracher. Mais il faut poursuivre vers une esquisse du « Déjeuner sur l’herbe » datée de 1863, ou « Les bords de Seine à Argenteuil », en notant au passage quelques Daumier.
Dans la salle suivante, nous allons croiser d’autres icônes, telles « La Gare Saint -Lazare » (1877) de Monet, des « Bateaux sur la Seine » (1875-1879) de Sisley, une petite danseuse en cire signée Degas, et surtout « La Loge » (1874) de Renoir.
Vient ensuite la salle consacrée à Seurat, l’inventeur du pointillisme mort à 31 ans, visiblement cher au collectionneur, tout comme Cézanne, présent avec un ensemble incluant « Les Joueurs de cartes » (1892-1896), un fascinant « Lac d’Annecy » (1896), et « La montagne Sainte-Victoire au grand pin » (vers 1887).
On retrouvera la montagne Sainte-Victoire dans la salle consacrée à « Samuel Courtauld, collectionneur de dessins », sur une aquarelle japonisante à peine esquissée, sans oublier des pommes bien sûr. Magnifique fusain, craie et pastel signé Degas, « Femme se coiffant » (vers 1884), vue de dos, bras levés, les mains retouchant sa coiffure, le buste en noir surgissant comme une flamme des plis clairs de la robe.
Puis on croisera Gauguin avec notamment « Nevermore » (1897), et son ami Van Gogh à l’« Autoportrait à l’oreille bandée » (peint à Arles en 1889), un des 35 autoportraits, celui-là faisant suite à la blessure que l’artiste s’était infligé après une dispute avec son copain Gauguin nous dit-on.
L’étourdissante visite se termine par un merveilleux bonus, dix des aquarelles de Turner acquises par Stephen, le frère de Samuel, permettant de suivre l’évolution de l’artiste au cours de sa vie entière, pour finir par ces deux esquisses quasi expérimentales de la côte de Margate (vers 1840).
L’exposition se veut aussi une réhabilitation de l’industriel collectionneur Samuel Courtauld, descendant d’une famille huguenote de l’ile d’Oléron émigrée à Londres au XVIIème siècle, après la révocation de l’Édit de Nantes. Ces immigrés industrieux passeront de l’orfèvrerie à l’invention de la viscose, qui fera leur fortune au début du XXème siècle. Samuel présidera l’entreprise de 1921 à 1946, et ce serait au cours de son voyage de noces avec Elizabeth à Florence, en 1901, que le couple aurait senti s’éveiller sa fibre collectionneuse, essentiellement concrétisée entre 1923 et 1926. Les Courtauld s’entourent alors des meilleurs connaisseurs en Angleterre, où les impressionnistes étaient encore peu appréciés paraît-il, et fréquenteront les grands marchands comme Ambroise Vollard, Paul Rosenberg et compagnie à Paris.
Même s’ils n’ont pas grand-chose à voir l’un avec l’autre, on imagine facilement que Bernard Arnault (patron de Vuitton ndlr) puisse s’identifier à ce prestigieux confrère (voir la préface du catalogue), d’autant qu’il nous présente, dans une exposition parallèle, une partie de sa propre collection d’art moderne.
Le choc est assez rude lorsqu’on aborde en deuxième partie cet univers contemporain, allant de 1960 à nos jours. Heureusement, nous sommes accueillis par les grandes toiles aux couleurs exubérantes de Joan Mitchell (années 1980), puis le parcours nous mène de salle en salle dans une sorte de défense et illustration de la plupart des noms les plus connus, tenants essentiellement de l’abstraction. J’ai remarqué un très beau Soulages, ainsi que plusieurs Gerhard Richter (2007) très colorés (image ci-dessus).
Signalons, en modeste contrepoint aux fastes impressionnistes et post-impressionnistes de la fondation Vuitton, l’exposition thématique présentée au Musée d’Orsay autour du «Talisman» de Paul Sérusier (ci-dessous). Cette petite huile sur bois de 27 sur 21,5 cm, dite aussi «Paysage au Bois d’Amour», datant de 1888, constitue selon les experts une étape décisive.
Il s’agit d’une petite étude devenue mythique, exécutée « sous la direction de Gauguin », comme il est écrit au revers du tableau. Lorsque son auteur la présentera à ses compagnons de route, les Nabis (« prophètes » en hébreu), ces derniers en feront leur « talisman », saluant une nouvelle ère de la peinture, résumée ainsi par Maurice Denis en 1903 : « Ainsi nous fut présenté pour la première fois, sous une forme paradoxale, inoubliable, le fertile concept de la surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ».
La petite huile inachevée, faite d’à plats de couleurs, allait ouvrir les nouveaux chemins de la peinture. De précieux exemples signés Vuillard, Maurice Denis, Bonnard et autres nous en sont donnés.
Lise Bloch-Morhange
« Le « Talisman » de Paul Sérusier, Musée d’Orsay, jusqu’au 2 juin 2019
Chère Lise, « une dispute avec son copain Gauguin » voulez-vous dire j’imagine.
Of course Isabelle! Merci!
C’est corrigé, merci. PHB
C’est bientôt Roland Garros, chère Lise… Je sais ce que vous en pensez et je pense comme vous… Or, donc, voyant ce que le bon Monsieur A. a fait, avec encore la bienveillance de la bonne maire de Paris, du musée des traditions populaires, je me suis interdit d’aller à ce musée qui mange en outre un quart du Jardin d’acclimatation (les attractions gratuites bien sûr).
Je n’irai donc ni à « Roland » ni chez « Getty » ! Il faut être cohérent ! Et pourtant, je n’habite pas loin !
Cher Philippe,
tout à fait d’accord avec vous, d’autant que non seulement j’ai mené la bataille pour tenter de sauver les Serres d’Auteuil, mais je me suis associée à ceux qui ne voulaient pas de la fondation Vuitton, élevée illégalement sur le bois de Boulogne.
Mais il se trouve que j’ai dû accompagner quelqu’un à la fondation Vuitton lors de la précédente exposition, et je me suis dit puisqu’elle est là maintenant, autant l’accepter. J’ai peut-être eu tort. C’est un long débat.
Mais je vous jure, cher Philippe, que je n’irai pas à Roland-Garros!
Nous n’irons pas ensemble ! On trouvera bien une autre occasion de se rencontrer !