Il disait de sa fille qu’elle était de la « même espèce » que lui, parfaitement « inapte à l’effort » et seulement guidée par l’esprit de jouissance. Pas étonnant que cette version en bande dessinée de « Bonjour tristesse » a été préfacée par Frédéric Beigbeder auteur polyvalent à qui l’on prête le goût du futile et une vision indulgente de la débauche. Joliment écrit, dessiné et coloré, la déclinaison de Frédéric Rébéna nous invite en plein hiver à des vacances sur la Côte avec une élégante villa pour cadre et des protagonistes très légèrement habillés.
« Bonjour tristesse » a été publié par Françoise Sagan en 1954 quand l’auteur avait 18 ans. Avec deux emprunts puisque le titre est extirpé d’un poème de Paul Eluard et le pseudonyme choisi par Sagan (en réalité Françoise Quoirez) est issu d’un roman de Marcel Proust. Et il est bien écrit. Son style vif et précis détonne, du moins pour l’époque. Il s’en est vendu dit-on, plus de deux millions d’exemplaires jusqu’à présent. L’intrigue met en scène un père (vieillissant, beau, riche, buveur, séducteur, jouisseur) en compagnie de sa fille Cécile touchée par une mélancolie insolente d’adolescente de 17 ans. Avec Elsa, l’amante du père, ils forment un trio baigné d’une paresse que l’ambiance azuréenne encourage. L’arrivée d’une femme plus mûre (Anne) qui entend remettre la main sur le père, va chambouler l’équilibre de vacances qui s’annonçaient réussies. Au point que Cécile va manœuvrer à l’aide d’un jeune garçon (en idiot utile) pour éliminer la nouvelle venue. De nos jours, avec ce genre de scénario, on fait des émissions de téléréalité comme « La villa des cœurs brisés » dont la débilité déconcertante enchantent ceux qui croient les regarder au second degré. Cependant que Françoise Sagan n’était pas tombée dans ce piège. La légèreté des échanges dans son livre évoquerait davantage les films de Rohmer.
Frédéric Rébéna a repris avec justesse mais à sa façon tous les codes du roman. Sur un fil ténu, il évite finement le genre guimauve qui aurait précipité cette bande dessinée dans l’abîme. Selon Beigbeder, l’auteur est allé plus loin parce qu’il « a su s’émanciper du livre comme Cécile se libère de sa future belle-mère ». Il dit de cet ouvrage paru aux éditions Rue de Sèvres, que sa livraison revisitée est tout à la fois « sexy, frivole, cynique, balnéaire et fruitée ». Et que par voie de conséquence « Bonjour tristesse » retrouve ici « toute sa magie ».
Frivole oui à ceci près que dans cette belle mise en scène (colorisée par un certain Jean-Luc Ruault), la gravité est omniprésente. Un quinquagénaire se débat entre l’âge qui vient, d’où la tentation de se ranger et celle conjointe de ne pas abdiquer, de ne pas se laisser attraper. C’est un joueur qui défie la chance et donc le malheur. Elsa l’aime et le désire parce qu’il a justement le charme de l’homme mûr. Anne la plus âgée qui débarque, joue de son côté sa dernière carte en proclamant qu’elle sera (s’il le faut) toutes les autres en plus d’être elle-même. Cécile quant à elle tient de son père. Ils forment un tandem dont ni l’un ni l’autre n’entendent finalement tomber. C’est pourquoi l’image finale les montre l’été suivant dans une nouvelle villa, allongés au bord d’une piscine, lui avec un verre de whisky, elle avec une cigarette à la main. Cécile aura notamment réussi à écarter cette rivale qui entendait jouer le rôle de sa mère, la gêner dans son « insouciance » en la privant de son père et la faisant entrer selon elle « dans un monde de mauvaise conscience ». Cette concurrente qui, dans cette histoire désormais vieille de plus de soixante ans, choisit de tirer sa révérence dans un virage, au volant d’un cabriolet Alfa Romeo rouge sang qu’elle fera basculer dans une mer couleur d’éternité.
PHB
« Bonjour Tristesse » Éditions Rue de Sèvres par Frédéric Rébéna, 18 euros
Et pour compléter la cure Sagan, on peut revoir en DVD le film d’Otto Preminger avec Jean Seberg et lire ses apéritives « Chroniques 1954-2003 » parues en livre de poche…
Pas étonnant que Sagan ait préféré La vie immédiate à Liberté .
le surréaliste de 1932 au communiste de 1942
Et Bonjour tristesse à Adieu tristesse .
La suite sera « Un certain sourire » inspirée par le même poème ?
(Adieu tristesse
Bonjour tristesse …
Par un sourire )