La Vierge au pays des pizzas

Quand la madone lui fait des signes afin qu’elle réussisse sa marche arrière, Lucia obtempère. Et aussi lorsqu’elle descend de sa  voiture elle se tourne vers l’apparition et lui dit « très drôle », tentant en l’occurrence d’amoindrir l’importance du phénomène surnaturel par une raillerie agacée. Névrosée ordinaire de la société italienne, mère célibataire, géomètre-expert à la commande, Lucia voit sa vie bouleversée par la matérialisation de la Vierge Marie dans son champ de vision alors qu’elle est en train de prendre des mesures en pleine campagne pour les besoins d’une construction moderne. Le film de Gianni Zanasi s’intitule « Troppa Grazia » et il faut se dépêcher d’aller le voir au rythme actuel où il se déprogramme, seulement quelques jours après sa sortie.

Il est compréhensible que ni les producteurs ni les financiers n’ont dû se bousculer au chevet de cette histoire insolite qui aurait de surcroît gagné à être élaguée. De moins en moins de salles, de plus en plus petites, le marché a vite fait son tri. Et c’est dommage car le film ne manque pas de charme pour qui a deux heures à tuer.

D’une certaine façon cette aimable fable démontre que dans la société moderne, l’aboutissement d’une apparition est une chose complexe à mener même quand on est rien moins que la mère de Dieu. La voilà donc qui se manifeste dans un beau paysage italien brûlé de soleil et qui ressemble à la Toscane. Lucia prend des mesures afin de préparer un chantier de construction. Elle confond d’abord la femme voilée de bleu avec une migrante mais quand celle-ci lui annonce qu’elle est la mère de Jésus, l’accablement succède rapidement à l’incrédulité. Avec une certaine logique, elle pense devenir folle. D’autant que le personnage d’origine divine  n’est pas tout le temps gracieux et s’énerve même de ne pas voir sa volonté exaucée. Ce qu’elle demande à Lucia consiste à construire une église en lieu et place d’un bastringue moderne dont l’esthétique douteuse n’est pas sans rappeler l’échec confirmé de la Philharmonie.

Bancal, bavard, trop long, amputé d’une vraie chute, « Troppa Grazia » convoque néanmoins l’indulgence car non seulement l’idée amuse mais elle est servie par de bons comédiens à commencer par Alba Rohrwacher dans le rôle de Lucia. Elle campe une jeune femme sympathique quoiqu’un peu caractérielle qui se débat pour survivre dans le monde de l’Italie moderne. Rosa Vannucci interprète l’adolescente butée et pleine de charme qui vit à ses côtés (La saisissante copie en blonde de Yohana Cobo dans « Volver » d’Almodovar). Quant à Hadas Yaron qui endosse le rôle de la Vierge distribuant à la fois caresses et coups de griffes, elle est tout aussi convaincante. Rien à dire sur ce casting qui emprunte dans la prestation générale aux meilleurs codes de la comédie italienne. Pourtant avec ce film qui ne va pas droit et qui donne souvent l’impression que le chef opérateur est allé boire un café tout en laissant la caméra tourner, on aurait pu craindre une catastrophe qui ne se produit finalement pas. Pourquoi, parce qu’il est sans doute une bonne copie de la vie réelle où les temps morts sont légion et que les scénarios de nos vies personnelles sont bien des fois et on en conviendra, entachés de défauts de réalisation. Mais il reste très justement parfait pour combler un trou d’agenda ou faire une coupure hygiénique dans l’actualité, du moins si une salle ose encore proposer sa diffusion.

PHB

 

« Troppa grazia » scène issue du film

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2 réponses à La Vierge au pays des pizzas

  1. iturralde dit :

    Bonjour,pas de chance les parisiens si Troppa Grazia va bientot quitter vos écrans!
    Par contre,nous,ici,à Urrugne à coté de St Jean de Luz, avons la chance d’avoir un petit cinéma indépendant depuis 5 ans et les deux bestioles qu’on adore et qui sont aux commandes se battent contre vents et marées pour nous faire passer des moments de cinéma extraordinaires, dont Troppa Grazia que nous avions eu cet été en avant-première.
    il est reprogrammé depuis le 2 janvier . Paris Montparnasse St Jean de Luz 4h20 en train …
    à bientot !

  2. Marie Laborde dit :

    Est-ce que c’était un premier épisode de l’étonnante série, Il miracolo? Avec Alba Rohrwacher ?

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