Il était venu à l’automne à l’occasion d’une séance de signature pour mon livre « Apollinaire, portrait d’un poète entre deux rives. » Il s’appelait Thierry Lalo. Je ne le connaissais pas. Je me souviens de son crâne qui avait l’air comme calciné par endroits. Avec son phrasé lent, il était venu me raconter qu’il avait eu l’occasion de mettre en musique un texte de Guillaume Apollinaire « Les Cloches » et aussi quelques autres. Ses amis m’ont dit plus tard qu’il était atteint d’un cancer incontrôlable au cerveau. Il s’est éteint dans la nuit de jeudi à vendredi à l’hôpital de la Croix Saint-Simon.
Selon son ami de « trente ans » et contre-bassiste Rémi Chemla, Thierry était « Pianiste , compositeur , arrangeur , chef d’orchestre, chef de chœur, pédagogue, écrivain, il a notamment composé 5 opéras Jazz et été le fondateur et directeur artistique du groupe vocal « Voice messengers » . Sur son site on apprend aussi que « ce spécialiste incontesté du jazz vocal sur la scène européenne« , avait notamment signé « Trois contes pour deux bâtons et une corde (commande de la Cité de la Musique pour la Maîtrise de Radio-France – 2004)« .
Je me souviens lui avoir rendu visite chez lui, il y a peu de temps, dans le neuvième arrondissement. Je me souviens de sa fille Clara, étudiante à Rotterdam qui était revenue chez ses parents pour le soutenir « jusqu’à nouvel ordre ». Je me souviens de sa difficulté à marcher, à trouver son équilibre. Je me souviens de son empathie, de son acharnement à essayer de retrouver pour moi, sur son ordinateur, une composition liée à Apollinaire. Finalement il avait mis en place son piano électrique et avec un effort important, il avait retrouvé quelques accords et quelques vers d’Apollinaire qu’il avait joués et chantés à l’occasion de ma visite. Il était très faible et paraît-il conscient de sa fin prochaine. « Gliome » était le nom scientifique de sa tumeur. Comme « Guillaume » mais en moins sympathique. Sa maladie s’était déclarée il n’y pas si longtemps et tout était ensuite allé très vite. Visiter quelqu’un sur le départ est toujours une affaire étrange. On se sent impotent, déjà séparé comme derrière la vitre d’un hall de départ et gêné d’être bien portant. Gageons que là où il se trouve désormais il a été accueilli comme il se doit par des amis, des proches et aussi par un Big band qu’ils auront eu le réflexe de mobiliser afin de lui rendre hommage. C’est aussi ce que je me suis efforcé de faire aujourd’hui dans un genre nécrologique qu’hélas je maîtrise de mieux en mieux. J’ai connu Thierry Lalo d’extrême justesse mais je me souviendrai de lui. On a tous connu des rencontres fugaces que l’on aurait aimé prolonger toutes affaires cessantes.
Et donc revoici « Les Cloches » en signal d’amitié terrestre émis vers l’ami subitement devenu céleste:
« Mon beau tzigane mon amant/Écoute les cloches qui sonnent/Nous nous aimions éperdument/Croyant n’être vus de personne
Mais nous étions bien mal cachés/Toutes les cloches à la ronde/Nous ont vus du haut des clochers/Et le disent à tout le monde
Demain Cyprien et Henri/Marie Ursule et Catherine/La boulangère et son mari/Et puis Gertrude ma cousine
Souriront quand je passerai/Je ne saurai plus où me mettre/Tu seras loin Je pleurerai/J’en mourrai peut-être » Guillaume Apollinaire, Rhénanes, Alcools, 1913
Quel beau texte, Philippe…
merci
quand allez-vous à nouveau dédicacer votre livre ?
Poignant hommage, optimiste pourtant…
Merci pour lui, et pour Clara aussi.
Merci Philippe Bonnet pour vos mots. J’ai connu Thierry Lalo très peu , l’histoire d’avoir participé dans une chorale créé et gérée par Thierry pour le festival Éclats des Voix 2018. A part son talent musical, j’ai été touché par son enthousiasme et sa générosité d’esprit. Moi aussi, je me souviendrai de lui.
Quel bel hommage ! Merci pour nous tous qui l’avons connu et aimé.
Merci à vous Philippe Bonnet pour la justesse de vos mots. Solange