Irvin Yalom est psychiatre. Et romancier. Et grand amateur de philosophie. Et grand vendeur de livres. Et star médiatique – du moins aux États-Unis et dans certains autres pays du monde où il est adulé. Il a publié ses mémoires en 2017. Leur traduction en français est parvenue dans les librairies en août 2018. Pas exactement une lecture de plage pour autant.
En France, la notoriété d’Irvin Yalom a été relativement tardive. Il avait certes pénétré le monde universitaire et médical grâce à ses travaux académiques, théoriques d’abord puis beaucoup plus pratiques, liés à sa riche expérience en matière de psychothérapie de groupe. Mais il a fallu ses romans, très ancrés dans ses univers de prédilection, pour qu’il touche un public français – et européen – plus large. « Et Nietzsche a pleuré », « La méthode Schopenhauer, apprendre à mourir » lui ont ouvert progressivement les bibliothèques des non-experts. « Le problème Spinoza » a même emporté le Prix des lecteurs du Livre de poche en 2014. On a pourtant connu des romans dotés de titres plus aguicheurs…
Dans ses mémoires, Irvin Yalom raconte être venu souvent en France. Comme de nombreux Américains, il aime la cuisine, les vins, les petites routes de campagne (et les clichés, donc). Mais il n’y est pas venu spontanément. Plutôt par alliance : son épouse, Marilyn, est francophone, francophile et a diffusé sa connaissance de la littérature française dans de prestigieuses universités. Aussi, lorsque Irvin vient à Paris, c’est une sorte de prince consort qui ne parle pas un mot de français et qui joue les potiches dans les dîners rassemblant les cercles littéraires qui apprécient Marilyn. Exactement l’inverse de ce qui fait leur vie sociale en Californie. Irvin Yalom le raconte avec un certain sens de l’auto-dérision, tout à fait bienvenu dans un livre qui certes n’en manque pas mais qui, comme le veut l’exercice des souvenirs, a le « moi je » parfois un peu pesant. L’homme n’est pas modeste. Cependant il sait être drôle et rire de lui-même, alors on lui pardonne.
C’est un sacré chemin qu’a parcouru le jeune Irvin, « petit Juif, d’origine russe, installé au cœur d’un ghetto noir », élevé par des parents qui ne maîtriseront jamais tous les codes de leur pays d’accueil, à l’exception d’un seul : le rêve américain. Et celui qu’ils feront pour leur fils unique s’accomplira. Il deviendra médecin.
Pour surmonter les décalages de son enfance, Irvin se jette dans la littérature. N’ayant aucun a priori, il se fixe une règle pour ses découvertes : suivre l’ordre alphabétique. Tous les rayons de la bibliothèque de son quartier y passent. De A à Z. Cette façon d’emmagasiner les connaissances goulument lui servira de guide tout au long de ses études. Il n’envisageait pas d’échouer. Il travaillait avec une anxiété permanente pour « rattraper » ce qu’il pensait être son déficit social. Le chemin était d’autant plus ardu que, alors, la faculté de médecine avait fixé un quota de 5% d’étudiants juifs.
Son passage à l’université a ceci de déterminant que si, auparavant, il avait progressé en solitaire, il y rencontre des camarades qui deviendront des amis d’une vie et des professeurs qui lui ouvriront des portes dont il ignorait l’existence. Après son diplôme de médecine, il choisit la psychiatrie et y entrevoit la nécessité de créer des passerelles avec la philosophie. Nous sommes dans les années 50-60. L’existentialisme lui tend les bras. Il développera le concept de thérapie existentielle, à la frontière de plusieurs disciplines, se nourrissant les unes les autres.
Pour Irvin Yalom, cette conjugaison des concepts philosophiques et des évolutions des techniques psychiatriques restera le fil conducteur d’une vie. Il refuse les chapelles et les frontières infranchissables. Il devient l’un des papes de la thérapie collective envisageant des méthodes toujours renouvelées qu’il expérimente avec plus ou moins de bonheur. Il reconnaît d’ailleurs ses échecs. Puis vient la tentation de la littérature, et Irvin Yalom s’engage dans un mélange des genres tout à fait assumé, suscitant de notre côté de l’Atlantique des réactions parfois mitigées. Voire très mitigées quand, en plus, le succès devient – presque – grand public.
Les amateurs des romans de Yalom (ci-contre) devront attendre la toute fin du livre pour en connaître la genèse mais ces derniers chapitres constituent l’épilogue logique d’une vie plus que dense. Il offre en clin d’œil quelques lignes assez touchantes sur la difficulté de vieillir. Irvin Yalom a 87 ans. Il devient l’objet des questionnements existentiels sur lesquels il a tant travaillé.
Marie J
Comment je suis devenu moi-même : mémoire d’un psy. Irvin Yalom. Editions Albin Michel. 428 pages. Traduction Françoise Adelstain.
Bonne idée, Marie, de parler d’Irvin Yalom…
Je ne sais pas si vous avez vu le film qui lui a été consacré par Sabine Gisigler (je ne suis pas totalement sûr de l’orthographe) : « La thérapie du bonheur ».
C’est un très beau portrait, une belle initiation à l’oeuvre et à la personne d’Irvin Yalom, qui complète bien votre article. Il date de 2014 ou 2015 et je pense qu’on peut le trouver en DVD.
Après l’avoir vu, j’ai lu avec grand plaisir son roman sur Spinoza…
Irvin Yalom est autant penseur que passeur…
Irvin Yalom à voir et à entendre : merci pour l’info, je ne connaissais pas l’existence de ce film. Il existe un DVD et apparemment serait disponible aussi en streaming… Je me réjouis d’avance
Si vous tapez sur google le titre du film suivi de « froggy’s delight », vous tomberez même sur mon article sur le film…
Content de servir à quelque chose dès le matin ! Et merci encore pour votre article.