La plupart des livres offerts le 25 décembre ou le 1er janvier commencent souvent leur piètre existence sur la table de salon avant de rejoindre le rayon du bas de la bibliothèque et terminer lamentablement dans un grenier ou, au mieux, sur les étals des bouquinistes. Ce ne sera sans doute pas le cas de cet ouvrage sur Marguerite Yourcenar publié chez Flammarion, qui séduit d’abord par la richesse et la qualité de son iconographie, mais permet surtout de belles découvertes et de bons moments de lecture. L’auteur en est Achmy Halley qui a consacré sa vie à l’étude de la vie et l’œuvre de Marguerite de Crayencour, dite Marguerite Yourcenar, et a même dirigé pendant près de dix ans la Villa Mont-Noir, dans les Flandres françaises, où Marguerite enfant passa toutes ses vacances et qui est devenue une résidence d’écrivains.
Cette connaissance en profondeur lui permet de dresser un portrait à la fois familier et très documenté de l’écrivaine qu’il découvrit à 18 ans en lisant “Alexis ou le traité du vain combat“. Sa longue présence au Mont-Noir lui a aussi offert cette part d’ineffable qu’aucune étude littéraire ou théorique ne peut apporter : la terre de l’enfance colle toujours aux sabots. L’auteur des Mémoires d’Hadrien se dit « avant tout une femme de voyage » mais elle revendiquera toujours l’appartenance à cette terre de Flandres :« Les plus forts souvenirs sont ceux du Mont-Noir parce que j’ai appris là tout ce que j’aime encore ; l’herbe et les fleurs sauvages mêlées à l’herbe ; les vergers, les arbres, les sapinières ; les chevaux et les vaches dans les grandes prairies… ».
Si les premières années marquent une destinée de façon indélébile, les quelques voyages effectués avec son père joueront un rôle prédominant dans la vocation littéraire. La découverte à l’âge de 21 ans de la villa Adriana et des jardins de Tivoli près de Rome fut déterminant. De ce voyage naquit sa passion pour l’empereur Hadrien. Publiés en 1951 alors quelle approchait la cinquantaine, les “Mémoires d’Hadrien“, mêlant faits historiques et réalité rêvée, marqueront les esprits. En 2002, ce livre fut choisi par un jury international d’écrivains comme étant l’un des cent meilleurs livres de tous les temps.
Un autre fait apportera au personnage une popularité inattendue : son intronisation à l’Académie française. Elle fut comme on le sait la première femme à y être admise. L’événement eut un retentissement considérable. Fait exceptionnel, la réception académique le 22 janvier 1981, en présence du gotha intellectuel et du président de la République Giscard d’Estaing (qui une vingtaine d’années plus tard sera lui-même admis dans l’honorable institution sans doute pour d’autres raisons que littéraires) fut retransmise en direct par la télévision. « Elle devient alors superstar » note l’auteur de l’étude. Cette popularité ne semble pas encombrer l’écrivaine âgée de 77 ans, déjà honoris causa de plusieurs universités et qui, comble de la célébrité, possèdera sa statue au musée Grévin !
Ce portrait de Marguerite Yourcenar nous montre une femme en avance sur son temps, plutôt végétarienne, soucieuse d’écologie (à Petite plaisance, à la frontière du Canada, où elle vécut de 1950 jusqu’à sa mort elle faisait son compost), ouverte aux autres cultures, assumant son homosexualité. Une femme libre et moderne, en somme, et non l’écrivaine drapée dans une posture hiératique, fausse image véhiculée par certains lecteurs qui lui reprochent peut-être ses origines patriciennes.
Pour préfacer son ouvrage, Achmy Halley a bénéficié d’une plume célèbre : Amélie Nothomb qui, en l’occurrence a enfreint sa règle de conduite qui lui fait refuser systématiquement toutes les demandes (« J’en ai une par jour » dit-elle). Le personnage de Yourcenar et l’approche nouvelle qu’offre le livre ont convaincu l’auteur de “Métaphysique des Tubes“. Amélie Nothomb note que l’écrivaine représente « un phénomène sans équivalent : la femme et œuvre se confondent en une statue ».
Le livre ne se termine pas par un florilège de ses écrits, mais par… des recettes de cuisine. Marguerite Yourcenar aimait les plaisirs de la vie et son attachement à sa région d’enfance se traduisait notamment par un goût prononcé pour les gaufres de la célèbre maison lilloise Meert. Les « Carnets gourmands de Grace et Marguerite » vous apprendront à confectionner des cramiques au sucre, des pets de nonne ou des Gaufres de Bruges. Iconoclaste, ce mélange de genres ? Pas du tout : « Cuisiner est une manière de soutenir la vie, de soi-même sûrement et aussi des gens qu’on aime » Et d’ailleurs « il y a peu de différences entre le pain et les livres. On les pétrit pour leur donner forme et on les laisse grandir ».
Si vous n’avez pas le talent d’écriture de Marguerite Yourcenar, vous pourrez au moins vous essayer aux fourneaux.
Gérard Goutierre
“Marguerite Yourcenar, Portrait intime“, par Achmy Halley, préface d’Amélie Nothomb. Flammarion 29,90 €
Marcel avait sa petite madeleine, Marguerite a maintenant sa petite gaufre :
la pâtisserie Méert à Lille a créé un nouveau gâteau « Marguerite Yourcenar » (fourré cassis, myrtilles, cranberries) à l’occasion de la sortie de ce beau livre ! Miam.
Merci pour cet article qui donne envie de lire le livre et d’aller jusqu’au bout pour les recettes!
Merci, cher Gérard, pour votre bel article. Vous savez, je crois, de ma grande admiration pour ce grand écrivain. Je cours chercher cette oeuvre chez mon livraire à Madrid et, étant donné -bien sûr- mon manque de talent d’écriture, je m’essaierai aux fourneaux, où mes talents excellent depuis que les Rois Mages -notre père Noël à nous, en Espagne- m’aient laissé, l’an dernier, un exemplaire du livre « Apicius, De re coquinaria ».
C’est À croquer.