Eh oui, on a un peu tendance à l’oublier, mais le théâtre se lit aussi. Nos professeurs de français avaient pourtant veillé à ce que l’habitude soit prise dès le plus jeune âge : lire le théâtre, comme on lit de la poésie ou un roman. La Farce de Maître Pathelin, puis Molière, Corneille, Racine, Marivaux, Beaumarchais… Les classiques Larousse ou Bordas trônaient en bonne et due place dans notre bibliothèque, sur notre bureau d’étude, consciencieusement annotés comme il se doit, voire stabilossés. Les années passant, des auteurs plus modernes tels qu’Anouilh, Cocteau, Ionesco ou encore Beckett venaient rejoindre les auteurs plus anciens. Puis, à moins de se lancer dans des études de lettres ou de théâtre, la lecture de pièces de théâtre semblait trouver son terme avec le passage du bac de français. Au-delà, cela devenait apparemment une histoire de spécialisation ou de passion, ne concernant désormais qu’un nombre limité de lecteurs. Et si le théâtre ne se lisait plus, pourtant il continuait toujours de s’écrire…
Ouvrir une pièce de théâtre comme on ouvre un roman, se jeter à lecture perdue dans une histoire, savourer les mots et faire travailler son imagination à partir des descriptions et didascalies. Ou encore lire une pièce à laquelle on vient d’assister et, à travers la lecture, vivre la représentation une deuxième fois, à son propre rythme, en prenant son temps ou pas… Ce plaisir est à la portée de tout lecteur et non pas réservé, comme on pourrait avoir tendance à le croire, aux “professionnels de la profession” ou à quelques curieux passionnés. Car si certes certains spectateurs de théâtre ont encore la curiosité d’acheter le texte de la pièce qu’ils viennent de voir, combien lisent réellement le théâtre pour le plaisir ? Un plaisir dont il serait fort dommage de se priver. Malheureusement, il semble tombé en désuétude au profit d’autres types de lecture.
Il est vrai que la place accordée au théâtre dans les librairies généralistes est des plus restreintes. Tournée essentiellement vers les auteurs dits classiques, celle allouée au théâtre contemporain est, par conséquent, encore plus minime, voire le plus souvent non-existante. Pour suivre l’actualité de l’écriture théâtrale, il faut donc la plupart du temps se tourner vers une librairie spécialisée, une librairie théâtrale, et là force est de constater qu’elles ne sont pas pléthore. Il en est de même pour les médias culturels qui, s’ils parlent de spectacles, de représentations, ne couvrent pas l’édition théâtrale, à moins d’être très spécialisés et de s’adresser à un petit nombre d’initiés.
Si chaque rentrée littéraire toujours plus médiatisée s’enorgueillit d’un nombre totalement astronomique de parutions, elle ne concerne que les romans et recueils de nouvelles. Si tout le monde a lu ou tout du moins entendu parler d’Amélie Nothomb ou de Maylis de Kerangal, si le nom du dernier lauréat du Prix Goncourt, du Renaudot ou du Médicis est momentanément sur toutes les lèvres et leurs ouvrages en première place dans les gondoles, qu’en est-il des auteurs de théâtre actuels ? A quand Rémi De Vos, Gilles Granouillet, Philippe Malone, Yann Verburgh, Pauline Peyrade, Aurore Jacob, Michel Simonot… dans toutes les librairies de France et de Navarre ? Sans parler des auteurs étrangers traduits. Le théâtre, tout comme la poésie d’ailleurs, semble aujourd’hui le parent pauvre de la littérature. A tort. La lecture de l’un n’excluant pas la lecture de l’autre.
Et pourtant les maisons d’édition théâtrale persistent et signent et nous ne pouvons que les en remercier et les encourager, tout comme les actions pour faire connaître et publier les auteurs d’aujourd’hui. Les salles de spectacle sont de plus en plus nombreuses à proposer à la vente le texte de la pièce jouée, voire une petite librairie les soirs de représentation avec une sélection d’ouvrages autour des spectacles de la saison et de l’actualité théâtrale. La lecture de pièces de théâtre est également encouragée à travers l’organisation de plus en plus fréquente de lectures publiques d’auteurs vivants, à Paris et en région, dans les théâtres et les festivals, en mettant le texte à l’honneur – nous avons déjà évoqué dans Les Soirées de Paris l’important travail effectué par le Bureau des Lecteurs de la Comédie-Française et les lectures publiques et gratuites qui y sont associées ( « Lecteurs et auteurs en scène ») avec bien évidemment la possibilité de se procurer les textes sur place lorsque ceux-ci ont fait l’objet d’une publication-.
La lecture publique, sans mise en scène, ni scénographie, permet de faire “entendre” le texte à l’état brut, de retourner à ce qui constitue l’essence même du théâtre et de laisser l’imagination du spectateur faire le reste. Le spectateur d’une lecture publique effectue un peu le même travail d’imagination que l’auditeur d’une pièce écoutée à la radio, aidé il est vrai par les intonations et l’interprétation des comédiens, le plus souvent excellents.
Partir du mot, du texte pour se représenter personnages et situations, se projeter, rendre visible l’invisible. Cet exercice de l’esprit nous ramène à la lecture pure et simple qui nous demande encore un effort supplémentaire – mais est-ce là réellement un effort ? – sollicitant toute notre attention, notre concentration, pour nous figurer personnages et décors à partir de quelques descriptions plus ou moins sommaires. Une lecture active pour une forme plus concise. Ainsi, pour la douce fantaisie slave de Jean-Yves Brignon “L’Autre Théâtre” parue tout récemment : “ Rissov : grand acteur, 50 ans ; Natalia Andreevna : actrice autrefois très connue, 60 ans ; Merchoukina : son habilleuse, même âge…” et aussitôt notre mémoire et notre faculté d’invention s’emballent, faisant surgir de notre imaginaire tout un monde à la Tchekhov. “Le décor représente le plateau du théâtre Gorki et ses coulisses. Sur scène, trois loges…” et le décor prend forme sous nos yeux. Puis arrivent le texte, les dialogues et un univers se concrétise qui, bien que fait d’encre et de papier, est déjà bien vivant.
La lecture de pièces de théâtre est une pratique qu’il est décidément grand temps de remettre au goût du jour. Alors, si on lisait du théâtre ?
Isabelle Fauvel
Quelques adresses (liste non exhaustive) :
Librairies théâtrales :
Le Coupe Papier 19 Rue de l’Odéon, 75006
La Librairie Théâtrale 3, rue Marivaux 75002 Paris
Boutique-Librairie de la Comédie-Française 2 rue de Richelieu 75001 Paris
Boutique-Librairie du Studio-Théâtre de la Comédie-Française Galerie du Carrousel 75001 Paris
Librairie L’Harmattan du Lucernaire 53 rue Notre-Dame-des-Champs 75006 Paris
La librairie du Rond-Point/Actes Sud 2bis Avenue Franklin Delano Roosevelt 75008 Paris
Par ailleurs, de plus en plus de théâtres proposent une librairie les soirs de représentation avec une sélection d’ouvrages autour des spectacles présentés et de l’actualité théâtrale : La Colline, l’Odéon-Théâtre de l’Europe, le Vieux-Colombier, la Scène Watteau de Nogent-sur-Marne, le Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette…
Et sur le Net :
https://www.theatre-contemporain.net/textes/contemporain/affiche
http://www.avantscenetheatre.com/
https://www.actes-sud.fr/rayon/theatre-arts-du-spectacle
https://www.solitairesintempestifs.com/
https://www.maisonantoinevitez.com/fr/publications/collections.html
https://www.artcena.fr/actualites/vie-professionnelle/grands-prix-2018-les-8-finalistes
https://www.avisagedecouvert-theatre.com/about
Oui, lire du théâtre est un plaisir de gourmet que je partage avec vous! Gageons qu’en des temps annoncés de décroissance , ce plaisir simple et peu coûteux connaîtra un regain de faveur…
Je suis enseignante en CM2 et mes élèves sont friands de pièces de théâtre (on a même mis en scène le livret de Colette dans son intégralité L’enfant et les sortilèges). Le théâtre pour les jeunes est une littérature VIVANTE! Ils se chamaillent pour lire à haute voix! Arrivés au collège, PLUS RIEN, à part de petits extraits ici ou là. Quel dommage!
Il y a régulièrement des lectures à La Huchette de pièces de théâtre, certains après-midis. L’entrée est libre et l’avantage c’est que les lecteurs sont des acteurs de la troupe de la Huchette… et qu’il y a aussi des débats avec les auteurs.
Allez-y !
Réservation lectures :
amihuche@free.fr
Un grand merci pour cette adresse supplémentaire !
Un immense merci ! et quel dommage que vous ne citiez pas mes pièces !… 🙂
Auteur dramatique – vivant -, je dirais que si, bien entendu, la création sur scène des textes en est l’achèvement, leur lecture est tout aussi une mise en scène intime que chacun peut jouer, et rejouer sans cesse, dans son fauteuil, comme aurait dit Musset.
L’histoire par la parole… poétique incarnée.
Vive le théâtre !
BM Flourez
Par ce que je n’ai pas la chance de les connaître. Etes-vous bien l’auteur de « Le fils de mon père est le père de mon fils ou mais que faisais-tu? » Dans ce cas, je ne manquerai pas de combler cette lacune.
En effet, j’ai bien commis ce monologue, et vous remercie beaucoup de votre intérêt.
Cela étant, vous avez bien entendu saisi qu’il n’y avait aucun reproche dans mon commentaire, mais l’occasion de vous approuver. Musset n’espérait pas autre chose en écrivant son Lorenzaccio : du « théâtre dans un fauteuil », et qui finalement a connu la scène avec le succès que l’on connait. J’ai d’ailleurs écrit un « Lorenzo ou la liberté d’Hélène » qui a été mis en espace par deux fois mais pas encore créé, donc plus lu que joué, mais édité ; et comme souvent dans l’édition théâtrale contemporaine, il se trouve épuisé…
Bien à vous,
BMF