Zac est sorti deux fois d’une prison pour mineurs. Une fois dans la vie réelle et une autre fois pour les besoins du film Shéhérazade qui vient bienheureusement de sortir en salles. Dylan Robert campe un gars de Marseille (Zac) déjà bien malmené par la vie. C’est un petit voleur aimant une mère irresponsable. Il respecte les femmes « mais pas les putes ». Contraint de survivre hors d’un foyer qu’il refuse, il se retrouve à faire du proxénétisme sans le savoir, à la demande d’un groupe de filles qui se prostituent sur une petite place en proposant des « pipes » à 50 euros aux hommes qui passent. Il n’a pas prévu qu’il tomberait amoureux d’une d’elles, Shéhérazade.
Le film de Jean-Bernard Marlin avait pour ambition de coller au plus près du réel ce qui peut susciter d’emblée une certaine méfiance mais force est de constater que son pari est réussi grâce à un casting soigné et à une direction d’acteurs sans faute. Comme dans « Corniche Kennedy » en 2017, il a été fait appel à des non-professionnels. Zac et Shéhérazade se sont connus quand ils étaient enfants. Ils ont grandi au sein de la Belle de Mai, un quartier réputé pour être défavorisé, nous est-il expliqué dans une note. Originaire lui-même de Marseille, le réalisateur a fréquenté durant plusieurs mois ces (trop) jeunes filles qui font leurs passes à la va-vite dans des halls d’immeubles. Avec la scénariste Catherine Paillé, il s’est attaché à faire en sorte que les dialogues ne s’écartent pas du réel laissant même aux acteurs une part d’improvisation. Il a eu raison au point que l’on a l’impression d’entendre une deuxième langue, le patois des quartiers. Là où la vie se paie au prix fort.
Empreint de violence physique et psychologique, le film ne comporte en revanche aucune scène de sexe trop crue au contraire des pratiques d’un certain Abdellatif Kechiche (« Adèle », « Mektoub my love ») qui en a fait sa marque de fabrique avec une complaisance lassante. Et force est de constater que la mise en scène, le rythme choisi, sont réussis. Les distorsions de lumières dues aux scènes nocturnes ont été conservées. Les stries lumineuses qui barrent par conséquent l’image confèrent ainsi à certaines séquences une poésie qui ajoute à l’ensemble un charme salvateur. « Shéhérazade » nous invite à partager la difficulté consistant à survivre en prison, la rudesse de la rue et par un effet de contraste saisissant, la réalité des prétoires où la jeune délinquance affronte la loi des grands. Jouée par une avocate de métier, la juge est parfaite, par exemple lorsqu’elle demande -instruisant un viol- des précisions autour du verbe « niquer » où encore lorsqu’elle apprend à Zac ce qu’est le proxénétisme.
Coupé d’insolites mouvements de musique classique issus du répertoire de Vivaldi, ce long métrage ne comporte pas de fausses notes ou de scènes de genre par trop convenues. Il faudrait le revoir pour y trouver des failles mais d’évidence le travail général a été bien ficelé et l’on se surprend à s’inquiéter pour Zac et sa très convaincante dulcinée. « Shéhérazade » est un film découpé et assemblé sur l’étal et qui de fait, ne pouvait que s’attirer la bienveillance des critiques toujours gourmands de réalités qu’ils aiment à partager durant deux heures, avec le confort protecteur d’un écran de cinéma.
PHB