Rêveur solitaire, romantique dans l’âme, Louis II de Bavière plaçait la beauté au-dessus de tout et vouait un véritable culte à Richard Wagner comme à Louis XIV. Du premier, il se fit le passionné et généreux mécène, l’aidant à créer des opéras complexes et fort coûteux, soutenant la naissance du Festival de Bayreuth. Du second, il s’inspira pour faire construire de fabuleux châteaux. Délaissant la compagnie des hommes, il aimait à se promener dans ses chères montagnes de Bavière. Par de belles nuits de pleine lune, le traîneau royal, tel une apparition, glissait sur les sentiers enneigés. Semblant sortir tout droit d’un conte de fées, la nacelle entièrement dorée, éclairée par trois lanternes électriques soutenues par des angelots, était tirée par quatre majestueux chevaux blancs dont deux montés par des écuyers en costume Louis XV coiffés de tricornes.
Un cavalier se tenait à l’avant en éclaireur et un valet, à l’arrière. Le roi y était confortablement lové, enveloppé dans un épais manteau à col de fourrure, une couverture d’hermine sur les genoux. C’est ainsi que l’a immortalisé Richard Venig dans un célèbre tableau et qu’il reste encore aujourd’hui dans l’imaginaire populaire : Louis II de Bavière, ce souverain original et incompris, mais aimé de son peuple, qui eut l’audace de vivre ses rêves. Il appartenait à la race des poètes. Verlaine le célébra comme tel, Apollinaire lui consacra un conte, le baptisant du joli nom de « Roi-Lune ».
Neuschwanstein, Linderhof et Herrenchiemsee, trois créations fantastiques comme nées par magie de la baguette d’une fée inspirée. La courte vie de Louis II de Bavière (1845-1886) ne fut que musique et châteaux. Le monarque vit tout d’abord le jour à Nymphenbourg, la résidence d’été de la famille royale située aux portes de Munich. Mais c’est dans un autre château bien plus romantique, au pied des Alpes bavaroises, qu’il passa la plus grande partie de son enfance et de son adolescence : Hohenschwangau.
Situé sur un piton boisé, surmontant lacs et forêts, le site est on ne peut plus enchanteur. Hohenschwangau fut construit sur les ruines d’une ancienne forteresse médiévale appelée « Schwanstein », la pierre du cygne, par son père Maximilien II alors que celui-ci n’était alors que kronprinz et âgé seulement de dix-sept ans. Le jeune Maximilien confia l’entreprise à un peintre d’architecture et de décors de théâtre d’origine italienne auprès duquel il avait étudié l’art, Domenico Quaglio. L’extérieur, tout comme l’intérieur, prête à l’enchantement et à la rêverie. Les façades d’une teinte ocre peu usuelle dans la région donnent à l’ensemble une belle couleur chaude, rappelant l’Italie ou l’Espagne – la grande fontaine des lions est d’ailleurs inspirée de celle qui se trouve à l’Alhambra de Grenade –. L’intérieur, quant à lui, est un livre d’images à taille humaine. Près d’une centaine de peintures murales relatent divers mythes et légendes dont l’histoire du Chevalier au cygne, à laquelle une pièce entière est consacrée, et qui marquera à jamais le jeune Ludwig, faisant du bel oiseau son animal fétiche. Le cygne y est omniprésent, célébré à maintes et maintes reprises. D’ailleurs, ne dit-on pas que Hohenschwangau fut le château de Lohengrin, ce chevalier du Graal, fils du valeureux Perceval, qui apparut, comme par magie, sur une nacelle tirée par un majestueux cygne blanc ?
Choisi par le Graal pour protéger Elsa, la fille du roi du Brabant, le jeune homme vainquit dans un duel son adversaire Telramund, puis épousa la jeune fille. Une promesse, imposée par l’ordre des chevaliers du Graal, enjoignait son épouse à ne jamais lui demander d’où il venait. Des années passèrent, deux enfants virent le jour, puis Elsa succomba à la curiosité et posa la question fatale. Le cygne qui avait amené Lohengrin réapparut alors pour ramener le beau chevalier au château du Graal afin qu’il puisse accomplir son devoir et secourir les personnes nobles en détresse. La légende arthurienne marqua si profondément le jeune Ludwig qu’il alla plus tard jusqu’à s’identifier à Lohengrin.
Le 10 mars 1864, le roi Maximilien meurt subitement d’une fluxion de poitrine à l’âge de cinquante-deux ans. Deux jours plus tard, son fils aîné, le prince Louis, est couronné. Le jeune homme de dix-huit ans, plein de bonne volonté, est pourtant peu préparé à ses nouvelles fonctions. Installé au Palais de la Residenz de Munich, il n’aura bientôt plus qu’une idée : s’en échapper.
Trois années auparavant, le 2 février 1861 très exactement, il avait effectué sa première sortie au théâtre et découvert, bouleversé, la musique de Wagner lors d’une représentation de « Lohengrin » à l’Opéra Royal de Munich. Ce fut un choc émotionnel et artistique d’une telle ampleur que Wagner deviendra son idole et maître spirituel pour toujours. Sa musique est, pour le jeune mélomane, une échappatoire à une réalité qui ne l’intéresse guère. Un des premiers actes de Ludwig en tant que roi sera donc, dès le mois d’avril, de faire chercher le compositeur allemand. Le 4 mai, la rencontre historique a lieu, décisive pour les deux hommes que trente années séparent. S’ensuivront, jusqu’à la mort du musicien en 1883, dix-neuf ans d’une amitié, passionnée pour l’un, plus intéressée pour l’autre, porteuse des grandes créations musicales du maître (« Tristan et Isolde », « Les Maîtres chanteurs de Nuremberg », « L’Anneau du Nibelung », « Parsifal »…) et accompagnée d’une importante correspondance des plus enflammées.
Mais le roi ne s’échappe pas qu’à travers la musique. En véritable Wittelsbach, tout comme son grand-père Louis 1er avant lui, il a l’âme d’un bâtisseur, d’un véritable créateur. C’est son côté artiste à lui. En 1868, il décide donc de faire reconstruire une vieille forteresse en ruine près de Hohenschwangau, ce lieu « inaccessible et sacré » qu’il considère comme « un des plus beaux du monde ». Les premières esquisses sont là aussi confiées à un peintre de théâtre, celui du théâtre royal de Munich, Christian Jank. La « Neue Burg Hohenschwangau » – rebaptisée Neuschwanstein en 1886 à la mort du roi – sera aussi, bien évidemment, un hommage à l’œuvre de Wagner, à travers de nombreuses réminiscences de ses opéras. Aménagement des pièces, peintures, sculptures, objets décoratifs… reprennent soit les sources historiques et littéraires, soit les décors, des oeuvres du compositeur. Ainsi les peintures murales de la chambre à coucher du roi racontent-elles l’histoire de Tristan et Yseult tout comme celles de la salle de séjour, celle de Lohengrin.
Quant à la salle des chanteurs, monument à la culture chevaleresque et pièce principale, inspirée de la Wartbourg, particulièrement chère au souverain, elle reprend tout à la fois les légendes de Tannhaüser, Lohengrin et Parsifal, notamment à travers sa tonnelle, véritable scène de théâtre décorée d’un paysage de forêt, la forêt sainte autour du château du Graal. Le roi ira même jusqu’à faire installer, entre la salle de séjour et le cabinet de travail, une grotte artificielle avec éclairages sophistiqués, imitant la montagne de Vénus dans Tannhaüser ! Le cygne est là aussi omniprésent et les tissus d’ameublement sont uniformément en soie bleue brodés du bel anatidae et de lys.
Chef d’œuvre de l’art romantique par excellence, éclatant témoignage de l’historicisme, conçu pour un usage strictement privé, Neuschwanstein restera cependant inachevé et Louis II n’y résidera au total que cent-soixante-douze jours, ce qui ne l’empêchera pas de rêver concomitamment à une nouvelle construction encore plus ambitieuse : un autre Versailles en Bavière.
En réalité, ce rêve de Versailles donnera lieu à deux châteaux distincts : Linderhof, réplique, faute de place, du petit Trianon de Marie-Antoinette dans la vallée de Graswang où Maximilien II possédait déjà un pavillon de chasse et Herrenchiemsee, double du merveilleux palais du Roi Soleil avec une Galerie des Glaces encore plus spacieuse et impressionnante s’il est possible, situé sur l’Île des hommes du lac Chiemsee.
Linderhof, conçu là encore pour un usage strictement privé, est un petit bijou de préciosité de style rococo.
Finalisé en 1879, il sera le seul château achevé du vivant du roi. Situé dans un immense parc de plusieurs hectares, il est entouré de terrasses, jardins, parterres, bassins, fontaines, temples… On se croirait, en effet, à la cour du Roi de France. Louis II y apporta néanmoins sa touche personnelle et y installa un kiosque mauresque et une maison marocaine, satisfaisant ainsi son goût pour le style oriental. L’œuvre de Wagner y est là aussi glorifiée à travers une fantaisie spectaculaire du roi : une grotte de Vénus, entièrement artificielle, semblant sortie tout droit de Tannhaüser, éclairée tantôt en rouge, tantôt en bleu, dans laquelle le souverain aimait à se laisser promener dans une conque marine dorée, sur une eau agitée par une machine à vagues, tout en donnant la becquée à de magnifiques cygnes blancs aux sons de la musique du maître jouée par un orchestre dissimulé derrière des rochers.
L’intérieur, lui, comprend une enfilade de petites pièces magnifiquement ouvragées où le stuc le dispute à la dorure: un vestibule à la gloire du Roi Soleil, deux Salles des Gobelins, l’une occidentale (salon de musique), l’autre orientale, une salle d’audience, des Cabinets Jaune, Lilas, Rose et Bleu décorés de pastels représentant des personnalités de la cour de France, une chambre à coucher dont la magnificence en fait la plus belle pièce du château, une petite salle à manger à la table escamotable dans laquelle le souverain pouvait se passer de serviteurs et dîner en toute intimité avec les portraits de Louis XVI et Marie-Antoinette et, pour finir, une Salle des Glaces dans laquelle une statuette de Louis XV se réfléchissait à l’infini… Une cuisine des plus modernes pour l’époque vient compléter le tout.
En 1878, Louis II verra encore plus grand en réalisant son propre Versailles à Herrenchiemsee. Le Roi-Lune n’avait plus rien à envier au Roi Soleil. Lorsque, jeune quadragénaire, il trouva mystérieusement la mort dans le lac de Starnberg, Louis II avait encore, malgré ses difficultés financières, d’autres rêves en tête : un nouveau château du chevalier Lohengrin qui prendrait racine sur celui de Falkenstein, un palais byzantin, un palais chinois… Si le souverain voyagea finalement peu, préférant au vaste monde ses rêves et son royaume de Bavière, il fut un créateur hors pair, nous laissant de fantastiques réalisations qui font encore rêver aujourd’hui. Saluons-le avec Verlaine : « Vous fûtes un poète, un soldat, le seul Roi / De ce siècle où les rois se font si peu de choses, / Et le Martyr de la Raison selon la Foi, / Salut à votre très unique apothéose, / Et que votre âme ait son fier cortège, or et fer, / Sur un air magnifique et joyeux de Wagner. »
Isabelle Fauvel
« Le Roi-Lune » est un conte de Guillaume Apollinaire consacré au roi Louis II de Bavière publié tout d’abord en plaquette, puis repris en 1916 dans le recueil « Le Poète assassiné ».
Hohenschwangau
Neuschwanstein
Linderhof
Herrenchiemsee
Madame, j’aime beaucoup votre évocation de Louis II de Bavière et je tiens à signaler le très beau texte du poète Léo Larguier (1878-1950) sur ce roi : « Le Roi sans Reine, Louis II de Bavière », Arthaud, 1934. Un poète tel que Léo Larguier, par le charme de son écriture et le fait qu’il vivait lui-aussi dans ses « rêves », ne pouvait que nous donner un portrait enchanteur de Louis II. Et il faut ajouter que Léo Larguier et Apollinaire se sont liés d’une très belle amitié, à Nîmes, en 1915. Apollinaire a d’ailleurs montré de l’admiration pour le poète Léo Larguier.
Cher Monsieur,
Je vous remercie pour cette information.
Cordialement,
Isabelle Fauvel