À une distance raisonnable du pas de tir, il avait assisté au décollage de la fusée. Peu de temps après il rejoignit un certain nombre de notables et d’ingénieurs au bord de la piscine de l’hôtel. Dans l’ensemble il avait trouvé la mise sur orbite d’un satellite de communication plutôt ennuyeuse. Le vol du retour pour Paris n’étant pas prévu avant le lendemain, il s’était rendu sur la plage à proximité de l’hôtel, là où le fleuve Kourou déploie son embouchure, par-là où autrefois transitaient les bagnards.
La baignade avait été décourageante. Le fleuve en cette saison pluvieuse charriait bien trop de déchets. Au bout de quelques brasses et d’une rencontre avec une tête de poisson mort, il était revenu se rincer à l’hôtel. Plus tard, profitant de l’absence de soleil, il avait pris le parti de déambuler sur la plage à proximité de cette forêt légendaire que l’on baptisait volontiers jungle alors que d’autres disaient simplement « le bois ». La moiteur générale enveloppait tout. L’air était chargé de parfums inédits qu’il ne pouvait démêler. Il était journaliste, nullement botaniste et cette ignorance, conférait aux aîtres alentour un anonymat global qui lui convenait fort bien. Ce bout de France équinoxiale était des plus accueillants aux humains débarqués de Paris le matin même. Elle imposait une sorte de ralentissement d’autant bienvenu que toute agitation sur cette terre de Guyane était contraire à l’hygiène la plus élémentaire.
La plage qui faisait office de point de rencontre entre le lourd débit du fleuve Kourou et la masse éperdue de l’océan Atlantique n’avait vraiment rien de commun avec celles de Bretagne où à chaque âge de sa vie il était venu prendre l’air. La rive sablonneuse était garnie de débris divers allant du coquillage vide à la bouteille en plastique. De la confluence entre l’eau douce et l’eau salée résultait une sorte de soupe tiède avec des nuances peu avenantes allant du café au lait à pire encore. Comment avait-il pu à l’étourdie se baigner dans ce qui s’apparentait davantage à un tout-à-l’égout. C’est lors de ce questionnement spongieux qu’il ramassa un genre de graine qu’il fourra sans y penser dans l’une des poches de son pantalon.
Vingt ans plus tard, tentant de dompter comme chaque semaine le désordre vivant de son appartement, il était retombé sur la chose. Elle s’était échappée de la boîte où elle était recluse parmi de nombreux objets qui n’avaient rien à voir les uns avec les autres. Il y avait là une de ces pochettes de couture à l’effigie d’un hôtel de Florence, un ticket de métro, une prise jack et même un honnête gland prêt depuis de nombreuses années à être mis en terre. Mais rien à voir avec la coque ramenée un jour de Kourou sauf que dans les deux cas on entendait à l’intérieur, après les avoir secouées, le tic-tac d’une graine qui semblait dire alors c’est pour quand. La première devait venir de Vincennes ou de Clamart, l’autre venait de l’autre côté de l’équateur, d’un bois d’où il a été dit maintes fois que des petits démons appelés maxililis n’ont pas d’autre plaisir dans la vie que d’égarer les promeneurs.
Sauf erreur toujours possible et d’après les rares images disponibles sur Google, la coque en question abrite une graine de toulouri, un genre de palmier qui pousse dans les régions marécageuses de Guyane et dont paraît-il, les feuilles servent à étanchéifier les toits des cabanes dites aussi carbets. D’un avis de toute apparence partagé, l’espèce est peu répandue et ses graines se retrouvent effectivement dans les estuaires, lieux où (auto-citation) « les âmes en errance viennent s’abreuver aux nouvelles des vivants » (1). Toujours est-il que si le toulouri est rare jusque dans le bois guyanais, sa présence est encore moins fréquente à Paris. Et qu’un jour, sauf si le climat change vraiment, il faudra ramener ce condensé d’arbre en devenir à l’endroit exact où il a été prélevé et le regarder enfin pousser avec un bout d’éternité devant soi.
PHB