«Nous nous sommes aimés dans l’art comme d’autres couples se sont unis dans la foi, dans le crime, dans l’alcool, dans l’ambition politique. La passion de peindre a été notre lien principal. Cela se confondait avec l’amour de la vie .»
C’est Sonia Delaunay qui, dans ses Mémoires, a sans doute le mieux décrit les affinités qui unissent deux artistes partageant la même passion. Entre 1907 et 1941, Sonia et Robert Delaunay formèrent un couple fusionnel, autant sur le plan humain que sur le plan artistique, au point qu’un œil non exercé peut confondre l’auteur de telle ou telle de leurs œuvres.
Les Delaunay font partie des quarante binômes choisis par le centre Pompidou de Metz pour sa passionnante exposition «Couples modernes 1900-1950». Un choix que l’on imagine difficile puisqu’au départ deux cent cinquante couples d’artistes avaient été retenus : couples officiels ou clandestins, hétéro ou homosexuels, provisoires ou définitifs, mais tous unis dans la même quête et la même passion.
Au total, près de neuf cents œuvres témoignent de l’extraordinaire effervescence de la création artistique dans la première moitié du XXe siècle, n’omettant rien des divers mouvements d’avant garde qui irriguèrent l’Europe comme le Bauhaus, De Stijl, Blaue Reiter et bien sûr Dada. En l’occurrence, la création n’émane pas d’un artiste isolé dans sa tour d’ivoire, mais est le résultat d’une confrontation, d’un échange, d’une inquiétude ou d’une exaltation partagées.
Tous les couples ne sont pas aussi unis que les Sonia et Robert Delaunay ou Jean et Sophie Taeuber-Arp, dont deux portraits photographiques figurent sur l’affiche de l’exposition. La création peut naître de rapports ambigus, voire de confrontations. La relation entre Picasso et Dora Maar ne fut pas un long fleuve tranquille, et si la passion fut partagée, elle se révéla destructrice pour la photographe croate dont le talent ne fut reconnu que tardivement.
Autre couple mythique: celui formé par les Mexicains Diego Rivera et Frida Kahlo (ci-contre en 1939). Une relation passionnelle et chaotique, qui a sans doute contribué à la célébrité des deux personnages. Si influences il y eut, ce fut certainement dans les deux sens. A l’âge de 20 ans, Frida accosta sans ménagement le muraliste mexicain. «Je ne le savais pas alors, dit ce dernier, mais Frida était déjà devenue l’événement le plus important de ma vie». Diego avait 43 ans quand il épousa en 1929 Frida Kahlo, de 21 ans sa cadette. Il divorcera dix ans plus tard… pour se remarier avec elle en 1940. Tout autre est l’aventure artistique du couple russe Natalia Gontcharova et Mikhail Larionov, qui partagèrent une véritable boulimie créatrice, concrétisée par le « rayonnisme » qui se voulait une «libération de la peinture» et qu’il développèrent à partir de 1909.
Un espace est réservé au couple formé par les Américaines Romaine Brooks et Natalie Clifford Barney («L’Amazone» de Rémy de Gourmont). Reine du Paris lesbien, Natalie fut la vestale d’un Temple de l’Amitié, rue Jacob où le Tout Paris intellectuel et artistique se retrouvait chaque vendredi. Accumulant les conquêtes féminines, elle entretint pendant plus de cinquante ans une relation profonde d’amour-amitié avec la peintre américaine Romaine Brooks. La liberté de mœurs et de pensée que témoignaient les deux femmes artistes a sans doute compté pour la recherche d’un nouvel équilibre entre les sexes.
Les destinées des couples d’artistes ne sont pas toujours aussi heureuses. Le public français découvrira le destin tragique des danseurs allemands Walter Holdt et Lavinia Schulz. Marié en 1920, le couple rejette l’expressionnisme alors en vogue et s’évertue à créer son propre monde chorégraphique. Lavinia crée d’étonnants costumes inspirés par la mythologie nordique et invente les Maskentänzer (ci-contre), personnages masqués grotesques et risibles. D’un idéalisme sans concession, uniquement préoccupés par l’art, refusant même d’être payés, ils termineront leur existence d’une façon tragique, puisqu’en juillet 1924, Lavinia Schulz mit fin à la vie de son compagnon pendant son sommeil, avant de se suicider. Ce n’est qu’à la fin des années 1980 qu’on redécouvrit à Hambourg ses étonnants costumes ainsi que les documents de travail de ses recherches inabouties.
On ira ainsi de découverte en découverte en visitant cette exposition d’une grande richesse qui, au delà de la connaissance de l’art du XXe siècle, marque une étape dans l’évolution des mentalités et des rapports hommes-femmes : c’est pour célébrer le centenaire du droit de vote des femmes en Grande-Bretagne que le Barbican Centre de Londres a programmé cette exposition à partir du 10 octobre prochain.
Gérard Goutierre
Centre Pompidou, place des Droits de l’homme, 57020 Metz
jusqu’au 20 août 2018
Tél. 03 87 15 39 39
Centre Barbican de Londres, du 10 octobre au 27 janvier 2019
La lectrice et hambourgeoise remercie G.H. Goutierre de lui avoir appris quelques chose de fort intéressant sur les Maskentänzer de sa ville natale
: die Hansestadt Hamburg/Hambourg pour les français
L’art du tandem. PHB