Nous étions décidés à nous laisser ravir par ce conte vénitien écrit par Carlo Gozzi au XVIIIe siècle. La critique dithyrambique depuis sa première création à Toulouse il y a quatre ans, la présence de Laurent Pelly à la mise en scène : tout était de fort bon augure pour nous.
Et dès le début du spectacle, le décor magnifique de Pelly nous conforte dans notre heureux pressentiment. Pourtant, un mauvais sort, sans doute jeté par la méchante reine des tarots, nous brouille la vue et nous empêche d’apprécier le jeu des comédiens et la force des sentiments. On voit le jeu, on voit le sur-jeu et jusqu’au cabotinage sous la beauté des tissus et le faste des décors.
Deux orphelins recueillis par un boucher et sa femme partent en quête de leur véritable identité. Avant de se découvrir fils de roi et de retrouver leurs vrais parents, ils devront passer par tous les mirages de l’égoïsme et de l’amour-propre humain : conquérir la pomme qui chante et l’eau qui danse, apprivoiser le terrible oiseau vert. Flanqués de leurs parents d’adoption qui les assistent dans toutes leurs épreuves, ils sauveront finalement leur mère enfermée sous un évier depuis des années, mettront à bas les plans de la méchante reine des Tarots et trouveront l’amour. Sous ses allures délurées, le texte se voulait aussi, en son temps, une forte contestation de l’optimisme rationaliste d’un Goldoni, grand rival de Gozzi. La critique de l’enflure philosophique tient une bonne place dans la pièce et la part belle est faite au rêve et au merveilleux.
La merveille était bien au rendez-vous pour nos yeux. Nous fûmes surprises en voyant des statues parlantes laisser filtrer en transparence une carnation bien humaine, en contemplant un plateau comme une colline aux arrondis généreux, offrant aux comédiens des chemins pour errer, des dénivelés pour des jeux de scène et des replis où se dissimuler. Les cadres descendant du plafond dans lesquels s’inscrivent les comédiens donnent lieu à de savoureuses trouvailles : on prend la pose dans un tableau, on se penche à une fenêtre. Tout cela est fort bien fait et on salue avec sincérité le travail des techniciens (d’ailleurs très applaudis à la fin du spectacle).
Mais pour que la magie opère complètement encore eut-il fallu brillance, légèreté et mystère dans l’interprétation. Or on est en permanence ramené au sol par la mécanique du jeu plaquée sur le vivant. On peut sans doute comprendre qu’une troupe bien rodée soit prise dans ses propres habitudes, dans la répétition des soirs et de son public conquis d’avance. Mais il aurait été heureux de voir les comédiens mettre toute leur force d’entraînement au service du texte. Le jeu comique, les effets d’actualisation, non sans vulgarité parfois, peuvent rappeler la tradition de la commedia dell’arte italienne et sa gaillardise. Pourtant, ce soir-là, l’arte s’est figé et on se demande où sont passés les personnages, l’art du lazzo et de l’improvisation légère des Italiens… La reine, caricaturale à souhait, en fait décidément trop pour arracher nos rires ; les deux jeunes premiers sont désespérément plats. Seul Nanou Garcia et Georges Bigot, qui jouent les parents adoptifs des héros, sortent du lot. La mère dévouée et maligne d’un côté, le père bon vivant qui cache derrière sa veulerie une bonne dose de sens critique de l’autre. Même dans le registre farcesque de ces bouchers, le naturel des comédiens éclate et témoigne de leur sens assuré du comique. On attend leurs scènes avec plaisir et le reste passe, nous laissant sceptiques.
Ainsi l’oiseau vert ne nous emporte ni ne nous séduit. Sa voix goguenarde et criarde nous accompagne au fil du spectacle. Même l’apparition finale de Mounir Margoum (comédien découvert avec bonheur dans une récente mise en scène de « Bérénice » par Célie Pauthe), ici en prince envoûté, ne suffit pas à nous rattraper ; on rêve déjà à d’autres envolées.
Tiphaine Pocquet du Haut-Jussé
« L’oiseau vert » de Carlo Gozzi, mise en scène et décors Vincent Pelly, Théâtre de la porte Saint Martin, Horaires : du mardi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 16 h. Dates : du 15 mai au 17 juin. Places : de 21 à 41 €.
J’ai assisté en novembre 1982, à une représentation de « L’oiseau vert » de Gozzi, au théâtre de la Comédie à Genève. C’était une mise en scène de Benno Besson. Une production inoubliable, qui a fait date. Trente six ans plus tard, on en parle encore…
oui ! des spectateurs déçus, à côté de moi, évoquaient aussi cette mise en scène qui visiblement a fait date ! Dur de passer après sans doute …