Chaque semaine depuis le mois de décembre sort un produit journalistique original qui fait machine arrière toute sur la guerre d’Algérie. La focale choisie est intéressante puisque les événements sont relatés et commentés à travers les journaux de l’époque, en collaboration avec la BnF. Sous cellophane, accompagné d’un exemplaire du Figaro et de Alger Républicain, le premier numéro (« Le début de la guerre d’Algérie ») comportait également un film de Gillo Pontecorvo intitulé « La bataille d’Alger ». Ce long métrage sorti en 1966 n’a été autorisé qu’en 1971. Puis il connut des éclipses jusqu’en 2004 alors qu’il avait été couronné dès sa sortie au festival de Venise.
L’histoire qui nous est racontée court de 1954 au moment du premier communiqué du Front de libération nationale (FLN) jusqu’au débarquement des parachutistes en 1957. La troupe, accueillie sous les vivats de la foule des partisans de l’Algérie française, avait été dépêchée par Paris afin de remettre de l’ordre. L’intrigue est essentiellement portée par Ali la Pointe, un petit truand analphabète qui va pourtant jouer un rôle essentiel dans le mouvement insurrectionnel. Il est brièvement emprisonné pour une bricole mais assiste à cette occasion, depuis les barreaux de sa cellule, à la décapitation d’un militant du FLN. Le film ne dit pas que beaucoup d’entre eux perdront ainsi leur vie à l’instigation de François Mitterrand alors ministre de l’intérieur, fervent défenseur de l’empire français « des Flandres au Congo » et jusqu’à utiliser « tous les moyens possibles » pour mater les rebelles.
Écrire sur cette époque tragique est un exercice des plus périlleux. Tout juste peut-on se borner à admettre que c’est la colonisation-même, très en vogue au 19e siècle, qui est incontestablement à l’origine de révoltes naturelles. La France n’a certes pas été la seule à commettre cette faute originelle. On créait d’abord des petits comptoirs commerciaux par-ci par-là puis on confisquait tout par simplicité. L’Angleterre, la Hollande, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, le Portugal se sont ainsi copieusement servis en dehors de toute interrogation morale. Comme les autres, la France pratiquait cette sorte de sans-gêne humanitaire qu’elle avait notamment matérialisé en Algérie, par l’établissement d’un « code de l’indigénat ». Lequel faisait des autochtones des citoyens de seconde zone.
Sur la question algérienne, on ne se risquera pas ici à élaborer davantage car ce n’est pas le lieu, mais seulement à porter un œil critique sur ce film que l’on peut encore se procurer en réclamant le premier numéro des « Journaux de guerre » à son kiosquier. « La bataille d’Alger » a été tourné caméra à l’épaule, principalement dans la Casbah, c’est à dire les quartiers musulmans. Son réalisateur a tenté le pari de faire la part des choses, ce qui revenait à jouer perdant pour nombre de ses détracteurs, d’un bord comme de l’autre.
Disons que tel un bon journaliste, Gillo Pontecorvo a préféré jouer la carte de l’honnêteté plutôt que celle de l’objectivité. Une des réussites de son film est d’installer en nous une anxiété qui va courir jusqu’à la dernière minute. Nous voilà inquiets pour ces activistes qui tentent d’organiser la libération du pays. L’auteur force à peine notre empathie. Mais c’est pour la nuancer très vite. Par exemple lorsqu’une femme habillée en européenne dépose une bombe au Milkbar en 1956. La caméra s’attarde sur une société qui s’amuse, danse et boit dans un décor moderne. Jusqu’à ce que la déflagration mette un terme sanglant à cette belle insouciance. Spectateurs que nous sommes, nous voilà aussitôt pris au piège de nos contradictions morales. Pareillement lorsqu’un commissaire, partenaire des méthodes radicales, accompagne un homme qui déposera une bombe dans la Casbah, tuant sans discernement toute personne se trouvant dans le périmètre.
« La bataille d’Alger » est un film qui nous plonge dans le grand bain de la guerre civile. Exponentielle, la peur est sur la ville. Avec le recul, parce que l’on sait désormais beaucoup mieux ce qui s’est passé, l’arrivée des parachutistes venus nettoyer la Casbah nous révolte à l’avance. Les scènes de torture par l’armée française lors des interrogatoires ne sont pas nombreuses, certaines sont à peine esquissées, mais le fumet de terreur qu’elles expriment nous compriment les narines et nous serrent l’estomac. Entre des insurgés qui avaient décidé de passer à l’action violente et un État qui avait décidé de surenchérir, on mesure mieux tout le gâchis qui se profile quand la négociation politique s’absente. Il fallait oser à chaud, tenter de tourner un film sur un sujet aussi grave. « La bataille d’Alger » a au moins ce mérite, en 2018, de nous ré-ouvrir les yeux.
PHB
(1) Sur le site « Les journaux de guerre »
Heureusement, qu’il y eut le Lion d’or à la Mostra de Venise, trois nominations aux Oscar américains, le prix de la critique à Cannes pour saluer le film, la bataille d’Alger en 1966. Non pas qu’il n’y a pas d’autres films sur l’Algérie, dont certains, pas les meilleurs peut-être, mais courageux pour l’époque, je pense à RAS d’Yves Boisset. Pour le reste, on trouve avoir Vingt ans dans le Aures, de René Vautier ou Muriel ou le temps du Retour de Resnais ou même l’honneur d’un capitaine, de Pierre Schoendoerffer, tous intéressant, mais tournés sur eux même.
En 1966, une curiosité : un duel Bigeard contre Bigeard. D’un côté les Centurions, une adaptation à grand spectacle d’un bouquin de Lartéguy avec Delon, Rønnet et Antony Quinn , un film boudé pour cause de fonds de sauce explosive militaro fasciste. En 1966, le colonel Bigeard est joué par Antony Quinn, et d’autre part c’est donc le Bigeard de la bataille d’Alger interprété par Jean Martin, qui fut signataire du manifeste des 121 pour l’insoumission en Algérie. Bref, le seul acteur pouvant jouer Bigeard sans être accusé d’une interprétation équivoque. Deux films qui s’inscrivent résolument dans la catégorie des films de guerre, et La Bataille d’Alger n’est pas un film Français.les Centurions non plus. On y suit une mission, la reprise en main de la Casbah, la torture y est dénoncée et peut-être pire encore, cet Algérien à qui l’on va forcer de porter l’uniforme des paras, et les attentats au Milk Bar et autres cafés ne sont pas ignorés, des villageois du bled massacrés dans toute leur cruauté. La même guerre…