Elle s’appelle Catherine et lui Vincent. Dans la vraie vie ils étaient Stéphane Audran et Yves Montand. Lui a quitté la scène en 1991, elle est morte hier à 85 ans. Et dans le film « Vincent, François, Paul et les autres », sorti en 1974, ils jouent une scène de rupture à la perfection. Les voilà qui se retrouvent dans un café. Vincent demande à Catherine si elle serait d’accord pour refaire sa vie avec lui. Elle lui dit que ce n’est pas possible. Et le malaise s’installe.
Il attrape une cigarette par le mauvais bout. Elle le lui fait remarquer. Il cherche de l’air, son verre de bière, regarde ailleurs. Il encaisse. On sent l’émotion qui fait des allers et retours depuis son estomac jusqu’à son cerveau. À cette époque les textos n’existaient pas pour faire ça en douce à l’abri du regard de l’autre, comme on ajuste de nos jours une cible à distance, depuis un poste de tir. La scène se passe au sein d’une de ces brasseries du coin de la rue, là où tous les jours la vie se joue et se déjoue, dans une réalité bruyante ou pas selon les heures. Un moment banal de l’existence ou le cœur se serre brutalement: tout le monde a connu ça. Et le réalisateur Claude Sautet n’a pas dû beaucoup intervenir avec sa caméra, se contentant d’alterner les plans de coupe. Il a filmé deux monstres sacrés qui, sur ce coup de quelques minutes, ont sûrement restitué un peu de vécu. Les films de Claude Sautet sont plein de ruptures. Et de fantômes. Sur la liste des acteurs de « Vincent, François etc. » (sans aucun prénom de femme donc), il en manque beaucoup à l’appel. Claude Sautet aussi a tiré sa révérence, en l’an 2000. Il nous reste encore Michel Piccoli qui imposait à chaque fois toute la puissance de son jeu et aussi Depardieu bien sûr, jeune débutant, lequel venait de se produire dans les « Valseuses » de Bertrand Blier.
Quant à Stéphane Audran (de son vrai prénom Colette), elle alignait depuis longtemps les beaux rôles avec cette classe propre aux années soixante-dix. Elle ne jouait pas encore les vilaines comme elle le fera plus tard dans « Coup de torchon » aux côtés d’Eddy Mitchell, Philippe Noiret, Jean-Pierre Marielle, Isabelle Huppert et Guy Marchand, en 1981. On retiendra donc sa prestation sans faute dans ce film de Sautet dont le générique démarre par des images en bleu. On y voit des couples danser. Elle est aux bras d’Yves Montand et l’on croirait presque à un film de famille tellement ça a l’air vrai. Les œuvres de Sautet sont comme des plats relevés par les sentiments de la vie, de la colère à la passion en passant par l’amitié ou le désarroi, infiltrant chaque séquence de chaque titre comme un condiment nécessaire. C’est sa signature, un fonds de commerce dont on pourrait se lasser, mais qui nous attrape facilement. Ce sont en outre des longs métrages drôlement dédiés, parce que non prémédités, aux maladies cardiovasculaires. On y boit, on y fume et on y mange trop sans s’angoisser comme maintenant sur les conséquences possibles de tels excès.
Et il y a donc cette scène de rupture (qui de surcroît n’est pas la seule de l’histoire) au bout d’une heure et dix minutes environ. À la suite de laquelle, après l’avoir accompagnée jusque dans un taxi, Vincent réintègre la foule, anonyme et seul. Plus tard il est à nouveau avec ses copains. Il leur dit « et si Catherine revenait, on ne sait pas, hein, avec la vie ». Sauf que depuis ils se sont rejoints pour de bon et la bande d’amis (sans oublier Serge Reggiani ou la bien regrettée Marie Dubois) sera un de ces jours, à nouveau au complet. Enfin si on y croit, mais c’est bien ça le cinéma, sinon ça ne vaut pas.
PHB
Cher Philippe,
de V, P et les autres, il reste encore du monde : Umberto Orsini, Antonella Lualdi et Ludmila Mikael et Catherine Allégret !
Les Italiens tiennent le coup (ou les franco-italiens, si l’on compte Piccoli) : Regardez, Les Tontons Flingueurs… Le dernier vivant, depuis la mort de Claude Rich, c’est Venantino Venantini…
Merci Philippe de cet hommage à cette magnifique actrice avec des mots qui savent nous émouvoir comme toujours et avec ce ton si personnel et bravo pour tes résultats de diffusion.
Pour se souvenir d’elle, je pense plutôt à cette belle institutrice dans le Boucher de Chabrol donnant la réplique à Jean Yanne, psychopathe terrifiant, qui lui rend visite un soir dans l’école du village où elle vit isolée…
Mademoiselle Hélène…
Ou la cuisinière du festin de Babette
Quelle actrice totale !