Dans son édition du mois de septembre 1927, La Revue de la femme relatait une rencontre avec Tsuguharu Foujita. Le peintre avait alors atteint la quarantaine. Le journaliste François Ribadeau-Dumas racontait que sur les « plages mondaines », on pouvait rencontrer l’artiste « en feutre blanc, deux anneaux d’or aux oreilles, un veston croisé gros bleu, un pantalon flottant crème et des souliers de cuir noisette grillée ». Un dandy comme on n’en fait plus et qui fait l’objet, pour l’anniversaire des 50 ans de sa disparition, d’une belle exposition au musée Maillol.
La scénographie se concentre sur une de ses périodes les plus fécondes à Paris entre 1913 et 1931. Cette année-là, il quitte sa femme qu’il a surnommée Youki (« neige » en japonais) en la laissant aux bons soins du poète Robert Desnos. Il largue aussi la France pour Rio en compagnie d’une certaine Madeleine Lequeux qui ne sera pas sa dernière femme. Il était arrivé à Paris en 1913. Il n’y reviendra avec sa nouvelle compagne japonaise qu’en 1950 après un certain nombre de pérégrinations. Ils deviendront Français, se feront baptiser. Et sa dernière œuvre avant de mourir consistera à créer la Chapelle Notre- Dame-de-la-Paix à Reims.
Toute l’histoire de cet artiste élégant nous est transmise par le musée Maillol aussi bien à travers ses œuvres qu’à travers des films dont certains réalisés par lui-même à l’aide d’une caméra Kodak. Son art moderne a ceci d’attachant qu’il combine avec finesse les styles orientaux et occidentaux. Ses terrains de jeux favoris sont les femmes, les autoportraits les chats et aussi les enfants.
Le musée Maillol consacre une bonne part de sa superficie à ses nus dont une toile bien connue des visiteurs du Palais d’Art moderne. Le corps féminin l’inspire. Il en traite les formes avec une telle délicatesse que l’on ne peut que s’incliner. Au journaliste François Ribadeau-Dumas qui était venu le trouver à la fin de l’été 1927, il avait confié que « le nu de la femme moderne est ce qu’il y a de plus intéressant par la nouveauté de sa ligne ». Le journaliste évoque aussi son « chalet perché à Montsouris » où des jeunes femmes « s’échelonnent en guirlande printanière tout au long de l’escalier de bois ». Avec sa drôle de frange, ses moustaches élaguées et ses lunettes rondes, Foujita séduisait autant avec son apparence originale qu’avec sa palette et ses pinceaux. Le musée nous explique que ce sont les « odalisques d’Ingres, du Titien, de Vélasquez jusqu’à l’Olympia de Manet, ainsi que celles de Modigliani censurées en 1917 » qui incitent Foujita à se tourner vers le nu d’autant que ce genre n’était pas pratiqué dans son Japon natal.
On ne peut pas tout retenir de cette exposition fort complète mais son histoire avec Youki (détail ci-contre), Lucie Badoud pour l’état-civil, montre à quel point Foujita était un amoureux généreux. Ils formaient un couple légendaire et rien n’était trop beau pour sa princesse. Pour ses vingt ans il lui offre une voiture décapotable avec chauffeur. Le bouchon du radiateur, comble de luxe et de fantaisie, n’est autre qu’un bronze de Rodin, « L’homme au nez cassé ». Cependant qu’elle accepte en parallèle les avances du Poète Robert Desnos conquis par son « intelligence », sa « pensée » et sa « beauté ».
Déjà dans « La Revue de la femme » on pouvait lire que l’atelier de Foujita était comme un refuge bien éloigné des « tumultes de la Bourse et de l’affolement des affaires ». Le chroniqueur a disparu mais sa formule fonctionne toujours.
PHB
« Peindre dans les années folles ». Au Musée Maillol jusqu’au 15 juillet.
Le grand réalisateur Kohei Oguri a tourné en 2015 un biopic sur Foujita en France… Malheureusement, je ne sais pas pourquoi, le film n’est jamais sorti… Oguri est l’auteur de très peu de films qui inspirent les grands cinéastes japonais comme Naomi Kawase ou Hirokazu Kore-Eda et aussi les cinéastes asiatiques (« Oncle Bomnee » d’Apichatpong Weerasethakul est fortement inspiré par « L’homme qui dort » son 4e film).
J’attendais beaucoup de ce Foujita, car je me doute que ce n’est pas un « biopic normal », car Oguri, qui n’a fait que six films (plus un documentaire) en 40 ans de carrière ne filme pas pour faire du bruit, mais au contraire pour explorer le silence, l’intériorité des êtres, la nature dans sa beauté primaire…
Bref, tout pour faire d’un film sur Foujita quelque chose en correspondance avec sa peinture… C’est sans doute pour ça qu’on ne le verra pas de si tôt : il a dû déconcerter les distributeurs…
Merci de rappeler ce qu’est un véritable artiste dans, ce qui est peu dire, » le tumulte et l’affolement actuel ».
André Lombard.