La jolie tour Morland qui ne bouchait pas la vue est creuse. L’ancienne préfecture de police s’est vidée de sa substance humaine. Les parkings sont désertés. Ce petit coin tranquille du 4e arrondissement s’apprête à vivre l’épopée de la réinvention. Le programme s’annonce complet. Le projet confié à David Chipperfield Architects comprend à peu près tout ce qui fait l’esprit du temps, une auberge de jeunesse, un hôtel, des bureaux, des commerces, un laboratoire artistique et évidemment des espaces d’agriculture urbaines, sans lesquels semble-t-il aucune proposition ne saurait être retenue.
Sur les projections imagées du site dont la livraison est attendue pour 2021 on voit effectivement le toit des bâtiments latéraux de cet ensemble en « U » garnis d’une sorte de verger néo-bucolique. Gageons que l’on y trouvera une ruche ou deux. D’autre part on peut également voir la petite esplanade qui fait face à la fois au Pavillon de l’Arsenal et à la Bibliothèque de l’Arsenal. C’est à cet emplacement qu’il y a peu il avait été découvert les restes d’une enceinte datant de Charles V. Elles ont disparu, leur mémoire a été effacée. Depuis sa fondation Paris a connu de nombreux coups de gomme et le mouvement n’est pas près de s’arrêter. Afin de marquer son territoire il convient pour un chef de diluer voire de dissoudre les traces de ses prédécesseurs. Lorsque l’on encense le baron Haussmann on oublie trop les dégâts irréversibles dont il a été le responsable.
Pour en revenir au bâtiment Morland il est l’œuvre de l’architecte Albert Laprade (1883-1978). On lui doit le Palais de la Porte Dorée construit au moment de l’exposition coloniale en 1931, une participation à la belle Maison du Maroc de la Cité Universitaire (1949-1953) ou encore la Cité administrative de Lille (1956).
Une fois n’est pas coutume et du moins sur le papier, le bâtiment sera embelli avec une façade à la luminosité soignée. L’esprit général sera préservé et d’après ce que l’on sait ou l’on devine, le public disposera d’un accès aux étages et aux terrasses avec un point de vue sur la Seine jusqu’ici réservé aux fonctionnaires de la préfecture puis ceux de la Mairie de Paris qui les ont remplacés en 2011. Pour une fois qu’un projet se fait dans le respect général d’un lieu et dans un esprit de valorisation, il serait malvenu de ne pas le souligner. Soustraction faite de l’appellation « Morland Mixité Capitale » une formule tout à la fois conceptuelle et bêtifiante mais à la mode. Le projet en outre est estampillé éco-responsable, autant dire politiquement correct. Gageons que cela n’ira pas jusqu’à l’installation de toilettes sèches mais c’est l’intention qui compte.
Et dans ce bâtiment converti à la nouvelle religion urbanistique il sera même possible de dormir. Les bébés auront leur crèche avec 66 berceaux, les jeunes disposeront de 404 lits et les touristes 147. Le projet pourrait de ce fait s’apparenter à un robot-mixeur où tout ce qui est politiquement éligible aura sa place dans un esprit de « sharing ». Dans ces conditions il sera sans doute préférable de l’admirer à distance pour ne pas risquer d’être contaminé par ce concentré de propositions radieuses, d’atmosphère vouée à la béatitude dans laquelle le visiteur pourrait voir s’évaporer sa (dangereuse) capacité de discernement.
PHB
Visuels du projet visibles ici
Cher Philippe,
je ne connais pas encore ce projet, je vais me pencher dessus, mais je crains qu’il ne s’agisse, one more time, d’une initiative unilatérale, sans aucune concertation, de Mrs Hidalgo, qui s’acharne à vendre Paris aux promoteurs via des « robots mixeurs » dont on n’a que faire, voire par exemple cette épidémie de tours qui défigurent la ville,
En outre il faut se méfier des projets d’architecte qui semblent si beaux sur le papier, et se révèlent catastrophiques .
Je me permettrai de reprendre votre belle expression de « robot-mixeur »!