Vivre la Révolution française à hauteur d’homme, comme un député de l’Assemblée nationale : Joël Pommerat nous invite à une expérience d’immersion étonnante avec sa compagnie Louis Brouillard dans son dernier spectacle « Ça ira (1) fin de Louis ». Le spectacle, créé en 2015, tourne encore pour quelques mois en France.
Joël Pommerat relit la Révolution française et nous fait traverser les grandes dates du maelström historique. La réunion des états généraux, le discours d’ouverture du monarque, la prise de la Bastille, l’abolition des privilèges, le débat sur les droits de l’homme, la plainte des femmes auprès du roi à Versailles. Les lignes de notre histoire de France prennent vie, avec force et même drôlerie. On entend le brouhaha d’une assemblée où le discord règne souvent, la rumeur des armes, les cris du peuple qui a faim, la voix éplorée de la reine. La Révolution nous entre par les yeux et les oreilles, elle se laisse sentir, humer et respirer. En quatre heures trente de spectacle à Saint-Quentin, on revit les années 1789 et 1790 dans une attente fébrile et enthousiaste d’une Histoire qu’on croyait pourtant déjà écrite.
La trouvaille de Joël Pommerat est de faire de l’assemblée des spectateurs réunis au gré des hasards dans la salle du théâtre, une métaphore de l’Assemblée nationale. Les harangues sont ainsi faites aux représentants des représentants que nous sommes. Les députés circulent dans notre salle, s’assoient à nos côtés. Mais plus qu’une métaphore, cette image s’actualise quand nous sommes invités à participer aux débats : « si vous approuvez la décision pour l’assemblée de se déclarer nationale, restez assis ». (On regrette d’ailleurs de ne pas avoir été invités à nous mettre debout pour signifier notre accord. La grande assemblée du théâtre de Saint-Quentin, si proche des lieux historiques de Versailles, se serait sans aucun doute levée avec enthousiasme, cela aurait donné un résultat réjouissant ainsi qu’un beau désordre…)
Si Joël Pommerat a pu parfois mettre au silence ses comédiens, par le recours fréquent à une bande-son très soignée (comme dans sa création « Les Marchands ») ici la parole est rétablie dans son plein droit : on éructe, on harangue, on vitupère, on insulte à cœur joie. Les morceaux de bravoure comme le discours de Mirabeau sur l’emprunt sont bien là mais sans effet de refrain ou de citation familière. Notre mémoire collective est convoquée mais jamais fossilisée dans des phrases toutes faites. Cela tient sans doute au travail de lecture colossal puis d’improvisation que Pommerat a demandé à ses comédiens dans la préparation du spectacle. Autre témoin de ce travail d’actualisation, le changement des noms propres. Les intransigeances de Madame Lefranc ne sont pas sans rappeler celle d’un Robespierre, Muller est une figure transparente de Necker. Enfin, la formidable équipe de comédiens arbore la plupart du temps costards et chemises, parfois même un pull Gap… En somme, la révolution est là, tout à fait présente.
Dans un entretien de 2015, Joël Pommerat disait justement vouloir dans ce spectacle «mettre le spectateur dans le temps présent de l’évènement passé». On y est, sauf peut-être à la toute fin qui présente un Louis XVI sûr de ses plans, qui laisse délibérément le chaos s’installer pour jouer le rôle d’un homme providentiel. Le spectacle se termine ensuite sur une image d’hommes jouant au billard, l’obscurité les mange et il ne reste progressivement qu’une lueur de cigarette. Cette ironie finale nous laisse un peu perplexes, elle n’est pas sans beauté. Pourtant la politique peut-elle entièrement s’assimiler à un jeu ? Il nous semble au contraire que toute la traversée du spectacle nous a invités à prendre au sérieux la parole, les engagements absolus de ces députés, en somme à croire en la lourde tâche de la représentation.
Tiphaine Pocquet du Haut-Jussé
« Ça ira (I) fin de Louis », Joël Pommerat, Compagnie Louis Brouillard
Après son passage à Saint-Quentin, le spectacle tourne encore à Strasbourg du 15 au 17 février, Poitiers du 8 au 10 mars, Compiègne, le 14 et 15 avril.