Depuis son inauguration en avril 2017, j’ai beaucoup fréquenté La Seine musicale, cet ovni monumental aux milliers de vitraux posé en aval, au bout de l’île Seguin à Boulogne, sur une partie de l’ancien fief des usines Renault. Parvenir au seuil de ce vaisseau musical est déjà en soi une expédition, surtout si le temps n’est pas très clément. Une fois arrivé à proximité du pont de Sèvres, dans le quartier boulonnais flambant neuf dit « le Trapèze », dessiné par Jean Nouvel à l’image de l’Alphaville de Godard, il faut emprunter le pont, flambant neuf lui aussi, qui relie le Trapèze à l’île Seguin.
La vue de ce bel ouvrage franchissant la Seine est superbe, mais comme on l’imagine, par temps venteux ou pluvieux, il faut livrer une véritable bataille contre les éléments (« Sur l’pont des Arts », chantait déjà Brassens…). Ce qui en fait en soi un bâtiment unique, comme s’il fallait, en quelque sorte, mériter le concert qui nous attend. D’autant que les voitures étant interdites de stationnement sur l’île, on y parvient forcément à pied (parking attenant trop cher !).
Après avoir souvent affronté les éléments déchaînés ces derniers mois, j’empruntais « la rue musicale » qui évoque un peu trop l’architecture de béton blanc à laquelle l’opéra Bastille nous a habitués sans nous la faire aimer, pour prendre l’escalator et monter aux cieux (magnifique vue sur la structure en losange de la charpente en chêne structurant les vitraux) jusqu’à la salle dévolue au classique (et surtout pas la triste salle noire réservée à la musique dite amplifiée). Un auditorium accueillant de 1150 places, bien proportionné, aux douces teintes, bois clair sculpté sur les murs, fauteuils fermes d’un rouge discret, et plafond qui attire tous les regards, avec sa structure en nid d’abeille blond imaginée par l’architecte japonais Shigeru Ban en carton recyclé.
Là, depuis presque un an, Laurence Equilbey, élégante et discrète musicienne accomplie de cinquante-six ans, cheffe d’orchestre pionnière fondatrice du chœur de chambre « Accentus » et d’« Insula Orchestra », formation sur instruments anciens en résidence, nous concocte des soirées surprenantes. Elle avait frappé un grand coup en inaugurant les lieux par une « Création » de Haydn flamboyante, mais depuis, loin de s’imposer chaque soir sur le podium, elle aime inviter des formations amies, notamment étrangères rarement entendues en France.
Ainsi, en décembre dernier, elle avait convié sa célèbre consœur Emmanuelle Haïm, avec sa formation « Le Concert d’Astrée », à nous régaler d’un doublé Haendel-Bach raffiné, et nous avait mitonné un « Ilot la France et l’Italie » du 12 au 14 janvier dernier avec divers invités français ou étrangers, interprétant, selon les soirs, aussi bien la « Messe à quatre chœurs » de Marc-Antoine Charpentier (superbe ensemble « Correspondances » de Sébastien Daucé ) que Mercadante, Rossini et Cherubini, ou encore « La banda des Pouilles » dans Puccini ou Nino Rota.
La programmation des prochains mois s’annonce tout aussi alléchante, englobant notamment une soirée en compagnie de la célèbre contralto Natalie Stutzmann le 16 février, ou un très conséquent « Ilot Beethoven » et ses derniers quatuors en mars (l’alpha et l’oméga de la musique de chambre pour certains!). Précision : à l’issue des concerts, lorsqu’on parcourt le pont en sens inverse, la vue nocturne sur la Seine est digne d’un Whistler, et l’Alphaville de Nouvel prend des airs mystérieux.
Autre salle dans laquelle je me sens maintenant comme chez moi, le nouvel Auditorium de Radio France (ci-contre) inauguré en novembre 2014, inspiré de la Philharmonie de Berlin où le public entoure la scène de tous côtés (comme dans l’auditorium de La Seine musicale), telle une « arène monumentale de 1461 places », dixit les maîtres des lieux. La longue histoire de la Maison ronde oblige, dès que je pénètre dans le vaste hall vitré rectangulaire face à la Seine où déambule le public d’abonnés, je repense, comme tous les fidèles, à tant de moments vécus dans l’ancienne salle Olivier Messiaen (pour moi, par exemple, à un certain « Benvenuto Cellini » de Berlioz, ou un rare « Edgar » de Puccini avec la grande Julia Varady). On revient chez soi, mais dans un nouveau décor.
J’aime beaucoup la teinte des balcons et des loges faits de larges pans de bois d’une chaude teinte ondoyant sous la lumière des projecteurs, donnant immédiatement, malgré les dimensions de la salle, un sentiment d’intimité avec ses voisins et de douce chaleur. Et saisissant mes jumelles, j’aime repérer, au centre de l’arène, sur la scène en demi-cercle de bois blanc, tantôt la chevelure frisée du clarinettiste du « National » (Orchestre National de France), tantôt le visage familier des bassonistes du « Philhar » (Orchestre Philharmonique de Radio France).
Après nous avoir régalé en début d’année de l’intégrale des concertos de piano de Beethoven (toujours en écoute sur le site de la Maison de la radio) et célébré le compositeur contemporain Thierry Escaich, le Philhar et son chef, l’énergique Mikko Franck au pas martial, nous proposera d’entendre la jeune star auto proclamée Khatia Buniatishvili dans le « Concerto pour piano n°3 » de Rachmaninov le 1er mars. Quant au National, il nous promet de beaux moments en mars en compagnie de Léonard Bernstein, Claude Debussy ou Gustav Mahler. Signalons également en mars l’intégrale des œuvres pour piano de Debussy sous les doigts d’Alain Planès.
Tout autre est mon sentiment quand je me rends au chic Théâtre des Champs-Elysées (ci-contre),
dont j’apprécie évidemment le splendide décor Art déco, d’or et de rouge, toujours impeccablement entretenu, toujours flambant neuf, depuis le scandale du « Sacre du printemps » en 1913. Dès le hall, admirant les dorures, les fresques et les lustres sous la lumière très vive, j’éprouve un peu l’impression de me rendre à une exposition plutôt que dans une salle familière, même si je suis souvent venue à des soirées lyriques. Et je me sens un peu en représentation sur ces fauteuils d’orchestre très fermes, comme s’il fallait se tenir bien droit et bien digne étant donné la splendeur de la salle. Mais quel plaisir renouvelé, durant la représentation, de lever la tête vers le plafond au pur décor floral blanc géométrique !
Depuis une bonne année, j’ai pris l’habitude de me rendre aux concerts donnés in loco par l’Orchestre de Chambre de Paris, qui parallèlement à ses activités envers les publics défavorisés, ne dédaigne pas de se produire dans ce lieu fastueux. Le 19 janvier dernier, le chef danois Thomas Dausgaard nous a concocté une formidable soirée Chostakovitch (concerto pour violoncelle et orchestre n°1) versus Bruckner (Symphonie n° 2), et le 23 janvier, le chef en titre, le bouillant Douglas Boyd, nous a offert un grand moment en invitant sa compatriote écossaise, la sculpturale violoniste Nicola Benedetti, pour interpréter le « tube » beethovénien « Concerto pour violon et orchestre en ré majeur ». Sans oublier son cher Haydn et un vibrant Bartók. L’occasion de constater one more time l’osmose à l’œuvre entre l’ancien hautboïste converti maestro et « son » orchestre, tant leur bonheur mutuel est perceptible ! Occasion qui se répétera notamment le 15 février prochain, avec un Beethoven inattendu.
Autre beau moment récent dans cette salle, le concert donné le 8 janvier dernier par un duo de jeunes, le pianiste sud-coréen trentenaire Sunwook Kim (jeu trop sec à mon goût) et notre violoncelliste phénomène de vingt-trois ans Edgard Moreau. Je dois l’avouer, tout me séduit chez ce dernier : ce que j’entends, ce que je vois, ce que je ressens, ce que je devine (voir article du mois de février 2016 sur Les Soirées de Paris). Fougue, maturité, voracité musicale, comportement juvénile, physique singulier, il est rare de posséder si jeune autant de qualités et d’afficher un tel parcours. Curieusement, donc, ce duo de musique de chambre incluant Bach, Schumann, Chopin et Prokofiev programmé dans le cadre de la série légendaire « Piano**** » (Piano quatre étoiles) ne s’est pas déroulé à la Philharmonie de Paris, mais on pourra y entendre le fabuleux Edgar en compagnie du complice de son dernier CD, le pianiste David Kadouch, le 28 mai prochain. Ainsi que bien d’autres grands maitres du clavier étoilés.
Cette Philharmonie de Paris, voilà bien sûr une autre de ces salles phares parisiennes, elle aussi conçue sur le modèle pionnier de la Philharmonie de Berlin. Je trouve dommage que ce splendide oiseau lâché dans le ciel par Jean Nouvel soit coincé contre le périphérique de la porte de Pantin. Il aurait mérité meilleur voisinage, tout comme sa féérique grande salle aux grandes vagues claires. On se souvient du grave conflit qui a opposé l’architecte et l’Association de la Philharmonie lors de l’inauguration en deux temps, fin 2015 puis octobre 2016. Dans un entretien publié dans « Le Monde » en janvier dernier, Nouvel raconte sa profonde blessure de n’avoir pu terminer le bâtiment selon ses désirs. Comme quoi ces salles doivent être très chères au cœur de leurs architectes avant de le devenir au nôtre.
Lise Bloch-Morhange
www.laseinemusicale.com
www.maisondelaradio.fr
www.theatrechampselysees.fr
www.lessoireesdeparis.com/2017/12/12/lorchestre-de-chambre-de-paris-a-la-mode-ecossaise
www.philharmoniedeparis.fr
www.piano4etoiles.fr
Merci pour ces superbes commentaires sur nos lieux musicaux parisiens.
Nous, les parisiens, sommes gâtés, presque trop, ne trouvez-vous pas ?
La Seine musicale n’a pas encore eu l’honneur de ma visite; comme vous l’exprimez si bien, c’est vraiment compliqué de s’y rendre, sans auto. On pourrait peut-être initialiser un co-voiturage ?
Et pour les récitals intimes, n’oubliez pas la salle Gaveau dans le 8ème, facilement accessible, elle, et bel écrin à préserver de toute urgence.