En 2011, la ville de Boulogne-Billancourt programmait en première mondiale un ensemble de photographies noir et blanc de Liu Xia, peintre et poète chinoise célèbre en son pays, et célèbre mondialement pour avoir épousé le dissident Liu Xia Bo, prix Nobel de la Paix en 2010 (en récompense de ses efforts en vue d’une transition pacifique de la démocratie en Chine !). Leur mariage eut lieu en 1996 en prison, au cours de l’une des nombreuses assignations de l’écrivain progressiste en camp de rééducation, car en pacifiste convaincu, il avait notamment soutenu les étudiants lors du massacre de la place Tiananmen. Sa dernière condamnation interviendra en 2009 pour onze ans, l’accusation étant « atteinte à la sécurité de l’État ».
Les photos de Lu Xia firent ensuite le tour du monde, New York, Los Angeles, Berlin, Prague, Hanovre, Varsovie, Bratislava, Turin, Madrid, Barcelone, Hong Kong, Taipei, Tokyo, Kyoto, pour revenir à leur point de départ : mardi dernier, le maire de Boulogne-Billancourt, Pierre-Christophe Baguet, et son ami l’écrivain Guy Sorman, commissaire de l’exposition, présentaient de conserve et à nouveau l’œuvre de cette artiste, jugeant visiblement que l’urgence de montrer une telle œuvre ne faiblit pas.
En effet : comme l’a expliqué Guy Sorman, depuis la mort de son mari en juillet 2017,
« nul n’a revu Lia », nul ne sait où elle se trouve. On sait seulement qu’elle a pu le revoir une fois, une seule, quelques jours avant sa mort à l’hôpital de Shenyang, et qu’elle a assisté aux obsèques. On sait aussi qu’elle a pu voir sa mère à Pékin le 31 décembre. On sait aussi que lorsque son mari reçut le prix Nobel, elle fut arrêtée et assignée à résidence à Pékin pour qu’elle ne soit pas tentée d’aller à Oslo à sa place.
En songeant au double destin de ces héros pacifiques de la contestation, on ne peut pas s’empêcher de penser que lors de son tout récent séjour en Chine (8 au 10 janvier), le président Macron a déclaré avoir abordé la question des droits de l’homme en privé, mais pas lors de discours publics. Connaissait-il seulement le sort du Mandela chinois et celui de son inflexible épouse dont on ne sait plus rien, sinon que ses dernières photos la montrent le crâne rasé, puisqu’elle laissera repousser ses cheveux « quand la Chine sera une démocratie » ?
Mais revenons à nos poupées, puisque c’est de cela qu’il s’agit : cet ensemble d’une trentaine de photographies met en scène, pour la plupart, une ou des poupées, toujours les mêmes, absolument saisissantes, la bouche ouverte dans un cri muet, le regard halluciné. Des sortes de E.T. terrifiantes. L’artiste a confié ces œuvres à Guy Sorman qui ne cesse de les promener à travers le monde, en soulignant que ce sont des originaux et des tirages uniques, dus à l’artiste elle-même. Bien entendu, elles n’ont jamais été exposées en Chine mais ont été vues sur le web, qui ne peut rendre justice aux infinies et admirables nuances du noir et blanc, ainsi qu’au format, assez impressionnant.
Il paraît que ces remarquables photographies ont été prises avec un antique appareil soviétique des années 60 doté d’un seul objectif, fonctionnant en lumière naturelle avec des pellicules noir et blanc de l’époque. De quoi rendre nostalgique tout amateur de la photo d’avant le numérique…
Ces clichés témoignent de la créativité d’une artiste soumise à l’enfermement, réduite à des objets simples et quotidiens, des poupées, des livres, quelques bouts de bois, du chiffon, parfois des rochers, lors d’une sortie qu’on devine exceptionnelle. Pas de légende, pas de date. A chacun d’interpréter, de fantasmer…
Avec ces poupées d’origine brésilienne, en façonnant leurs traits, leurs positions, en les mettant en scène, Liu a su exprimer toute l’horreur du monde, dont celle que subissent des gens comme elle et son mari.
Il a celle où l’intellectuel à lunettes tient avec sa main la poupée posée sur son épaule, la bouche ouverte dans un cri horrifié… Un portrait de Liu Xiao Bo lui-même, bien sûr.
Il y a celle où la poupée est comme crucifiée en haut d’une palissade faite de planches pointues, tandis que passe un nuage juste au-dessus, poétique et indifférent…
Il y a encore celle de ces deux poupées, ces deux petits garçons, perchés sur des rochers l’un avec cet air de pauvre gosse auquel ressemblent tous les pauvres gosses de la terre mais qu’on n’a peut-être jamais vu aussi bien saisi, sauf sans doute sur un tableau de Murillo ; l’autre gosse est perché au-dessus, la bouche ouverte dans ce cri muet qu’on retrouve sur tant de clichés, cet inoubliable cri muet qui nous poursuit longtemps.
Lise Bloch-Morhange
Exposition « La force silencieuse LIU XIA »
Photographies du 10 au 28 janvier 2018
Espace Landowski
28, avenue André-Morizet
Table ronde Lundi 22 janvier à 19h30 présidée par Guy SORMAN
« Dissidences et libertés publiques dans la Chine contemporaine »
Amphithéâtre de l’Espace Landowski
boulognebillancourt.com
Edifiant!!! Ça me donne vraiment envie de voir l’expo.
Guy Sorman ! Voilà quelqu’un à qui je ne confierai pas mes photos !
Cet ultra-libéral aime les « dissidents » d’ailleurs… et les pauvres d’ici, victime du système qu’il cautionne et encourage, il n’en a cure. S’ils se révoltaient, il leur ferait subir le même sort que les méchants Chinois font subir aux « intellectuels » qui espèrent tant de l’Occident…