Christian Dior, couturier du rêve

Je ne sais pas si vous aimez les grandes expositions », ces « blockbusters  » qui rassemblent les foules et battent les records d’audience (genre Grand Palais ou Louvre), mais quant à moi, j’ai tendance à préférer les lieux plus modestes et en général plus pointus. Étant habituée au bel espace, dans le hall à droite, réservé aux expositions temporaires du musée des Arts décoratifs, je me réjouissais de découvrir l’exposition « Christian Dior, couturier du rêve », qui battait son plein depuis juillet dernier. La rumeur aidant, j’avais pris la précaution, ce mercredi 8 novembre, de me munir d’un billet coupe file, mais arrivée à midi, j’ai découvert une longue file d’attente, tout le monde étant muni de coupe files pour midi tapante !
Après une bonne demi-heure d’attente, j’entrais enfin dans le hall, et première surprise, les foules compactes étaient dirigées non pas vers l’escalier de droite, comme à l’habitude, mais vers celui de gauche, où après être passé devant les alléchantes vitrines des collections permanentes de bijoux du premier étage, on parvenait à la première partie de l’exposition. Et là, mon étonnement et mon agacement furent pratiquement immédiats, non seulement parce qu’on se serait cru dans le métro aux heures de pointe et qu’il relevait de l’exploit de s’approcher des vitrines, mais parce que je réalisais que toutes les époques de la maison Dior étaient mêlées. En proie à un malaise grandissant dû à la foule (y compris les groupes qui accaparent tout l’espace !), il fallait donc se livrer, dans la pénombre, à un déchiffrage laborieux de chaque cartel. Une chose passionnante cependant : ces robes miniatures réalisées par les ateliers près du modèle grandeur nature. D’emblée, parmi la multiplicité des vitrines, il m’a semblé que John Galliano se taillait la part du lion, avec ses créations ultra spectaculaires.

L’exposition étant intitulée « Christian Dior, couturier du rêve », j’avais naïvement pensé que j’allais en apprendre davantage sur le personnage, la fondation de sa maison de couture, le lancement du New Look, jusqu’à la reprise par Yves Saint-Laurent. Mais la tête me tournant devant la multitude des modèles de toutes époques, je me suis vite rendue compte qu’il s’agissait en réalité de célébrer les soixante-dix ans de la maison de couture, et de donner à voir les divers créateurs successifs.

Buste de Dali. Photo: LBM

Je ne sais plus comment j’ai tout de même fini par dénicher ce qui m’intéressait, à savoir les débuts de l’aventure : se rêvant architecte ou compositeur, le jeune homme de vingt-trois ans obtient de son père (à condition que le nom de Dior n’apparaisse pas !) les fonds nécessaires pour ouvrir une galerie de peintures avec son ami Jacques Bonjean en 1928, au 34 rue La Boétie, activité qu’il poursuit avec Pierre Colle de 1931 à 1934 au 29 rue Cambacérès. Là, il expose les célébrités de l’époque (Picasso, Braque, Matisse, Cocteau, etc.), et tente de lancer les petits jeunes comme Dali, Giacometti, Calder, Bérard : « Nous nous étions simplement réunis entre peintres, littérateurs, musiciens et décorateurs, sous l’égide de Jean Cocteau et de Max Jacob. » Un palmarès impressionnant, tout comme celui de l’exposition surréaliste de 1933 chez Pierre Colle : Marcel Duchamp, Max Ernst, Man Ray, Yves Tanguy, et cet étonnant « Buste rétrospectif de femme » de Dali. Existe-t-il d’autres grands couturiers qui soient aussi directement issus des arts d’avant-garde de leur époque ? On connait bien l’influence de la peinture dans les créations d’Yves Saint-Laurent, mais il n’a pas eu le temps d’en passer par une galerie de tableaux…

La crise de 1929, avec ses longues répercussions, ayant finalement entraîné la fermeture des galeries, on en vient alors aux débuts mythiques : la première collection Dior haute couture 1947 rendant aux femmes leur féminité, à l’issue de laquelle la rédactrice en chef de « Harper’s Bazaar », Carmel Snow, s’exclame : « Dear Christian, your dresses have such a New Look ! ». L’expression est lancée, et le créateur fera l’année suivante un tour d’Amérique triomphal célébrant le New Look.
Il faut redescendre les escaliers et se diriger vers la seconde partie de l’exposition pour admirer le modèle phare de cette collection, le « tailleur Bar » (image d’ouverture), trônant en majesté dans une vitrine devant l’escalier de droite, dans toute sa pureté et son élégance : « Ensemble d’après-midi en shantung et crêpe de laine plissé de Gérondeau et Cie », veste blanche sur jupe noire, épaules architecturées, taille minuscule, jupe évasée. Le « Bar » étant une référence à celui du Plaza Athénée, palace voisin de la maison Dior.
On connaît la suite : Christian Dior meurt d’une crise cardiaque en 1957, à cinquante-deux ans, et le jeune assistant-modéliste nommé Yves-Saint Laurent prend sa place overnight, lui qui se plaindra plus tard de n’avoir pas eu de jeunesse, tant la charge était lourde.

John Galliano. Photo: LBM

Dans cette seconde partie, nous retrouvons la profusion de la première, encore démultipliée et magnifiée par les immenses espaces, vitrines montant jusqu’à près de quinze mètres de haut, modèles réduits, petits modèles, modèles grandeur nature, accessoires de toutes sortes, tous créateurs confondus : Dior, Yves Saint-Laurent, Marc Bohan, Gianfranco Ferré, John Galliano, Raf Simmons, jusqu’à Maria Grazia Chiuri, l’actuelle styliste. A nouveau, mais cette fois sous des lumières aveuglantes, il faut se pencher sur chaque cartel, et tenter de deviner l’auteur de chaque création. Celles de Dior se reconnaissent à leur pure ligne architecturée, mais bien sûr, tous les créateurs maison n’ayant cessé de rendre hommage aux modèles du maître, le jeu de devinette n’est pas facile. Les organisateurs proclamant fièrement qu’ils ont sélectionné trois cent robes au total !
Un spectaculaire « Colorama », véritable fresque d’objets, illustre la profession de foi du maître : « Une touche de couleur peut suffire à modifier votre apparence : un foulard émeraude, une robe rouge vif, une étole d’un jaune éclatant, des gants bleu roi… ». C’est bien en peintre que pensait le couturier… Tout comme il fut un visionnaire de l’industrie du luxe et de la mode, englobant chaussures, chapeaux, sacs, bijoux, parfums sous sa griffe. On retrouve les fameux souliers de Roger Vivier et autres, ou les bijoux de Gripoix et autres, certains englobant la pierre dite « Aurore boréale », imaginée en 1956 par Swarovski.
Dans un coin, un peu à l’écart de la foule, une jeune brodeuse blonde fait une démonstration de son art, nous expliquant que la robe Dior à laquelle elle travaille exigera huit cents heures de broderie, sans compter quelque deux cents heures de façon. Tel est le rêve de la haute couture. Le vrai.

Présenté en arc-en-ciel, le Colorama déploie la permanence des couleurs maison, le rose , « la couleur du bonheur et de la féminité », le gris, « la plus pratique et la plus élégante des couleurs neutres », qui paraît-il, évoquait pour Dior la façade de sa maison natale de Granville, le « rouge Dior », « la couleur de la vie ». Et bien sûr le noir, la plus élégante de toutes les couleurs. Débauche de modèles miniatures et d’accessoires.
L’exposition ne manque pas de souligner que le maître couturier fut un « pionnier de la globalisation », déployant son nom dans le monde à travers des filiales et des boutiques fabriquant sous licence. Première boutique ouverte à New York, puis Londres, puis Caracas, adaptées à chaque marché. Tout cela en tout juste dix ans. Le jeune homme de Granville entouré de l’avant-garde artistique de son temps qui rêvait de devenir compositeur ou architecte et n’avait pu afficher son nom au fronton de ses galeries, a su fonder un empire qui perdure depuis soixante-dix. A lui seul, il méritait largement une exposition, plutôt qu’une opération promotionnelle siglée Dior.

Lise Bloch-Morhange

Aspect de l’exposition Dior

Musée des Arts Décoratifs, « Christian Dior, couturier du rêve », jusqu’au 8 décembre 2018

 

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