Gabriele Munter, Vassili Kandinsky et le mouvement du Blaue Reiter à Murnau

Elle fut une artiste passionnée et talentueuse, une femme déterminée, une pionnière et un esprit libre. Elle n’est pas très connue du grand public. Lorsque son nom est mentionné c’est souvent en tant que compagne de Kandinsky. Bien qu’elle ait partagé la vie de ce dernier pendant douze ans, une période fondamentale dans le cheminement vers l’art abstrait de Kandinsky, Gabriele Munter mériterait que son nom et son œuvre soient davantage mis en lumière.

(Ci-dessus: Kandinsky : paysage de Murnau avec église ©Lottie Brickert)

Née en 1877, en Allemagne, Gabriele présente très tôt des dispositions pour le dessin. Mais l’art n’est pas alors une carrière respectable pour une femme. En 1897, grâce à sa pugnacité, elle peut enfin partir étudier l’art à Düsseldorf. Sa formation prend fin quelques mois plus tard quand Gabriele, déjà orpheline de père, perd sa mère. Gabriele et sa sœur, femmes indépendantes et curieuses, effectuent par la suite un voyage de deux ans aux États-Unis, grâce à leur héritage. Là, Gabriele, se prend également de passion pour la photo et réalise avec son Leica un grand nombre de reportages.

A son retour, en 1901, elle s’installe à Munich et reprend ses études d’art dans un cours privé. Rappelons qu’à l’époque les académies de peinture sont interdites aux femmes. Mais son professeur a tendance à contrarier sa technique déjà très moderne, reposant sur la ligne de contour pure sans ajout d’ombres ni de lumière. Gabrielle Munter s’inscrit alors à l’école d’art de la Phalanx, ouverte par une association de jeunes peintres novateurs, dont l’exposition récente l’a enthousiasmée. Kandinsky, qui fait partie de la Phalanx, y donne un cours de nu. Conscient des talents de Gabriele, il lui porte une attention soutenue.
Elle a 25 ans, il en a 36. Une passion naît entre les deux artistes. Mais Kandinsky est marié et la situation devient vite intenable à Munich. Bravant les conventions, Gabriele n’hésite pas à suivre Kandinsky lorsqu’il lui demande de partir avec lui pour fuir sa femme et le « qu’en dira-t-on ». Commence en 1904, une longue vie d’itinérance, d’instabilité et d’expériences artistiques qui durera quatre ans. Elle les mène en Tunisie, Italie, Belgique, Suisse… ainsi qu’à Paris et à Sèvres où ils s’installent un an. De retour en Bavière, ils sont charmés par la petite ville de Murnau, au bord du lac Staffelsee. Munter y achète une maison en 1909, baptisée « la maison russe », dans laquelle ils passeront la majorité de leur temps jusqu’en 1914.

C’est dans la maison russe que chacun connaît une période de renouvellement artistique sans précédent. Alors que Kandinsky se met à tutoyer l’abstraction, Munter fait preuve d’une modernité inédite avec ses peintures aux lignes simplifiées et aux aplats de couleurs vives. C’est là aussi que naît un nouveau mouvement expressionniste, Le Cavalier bleu (Der Blaue Reiter), fondé avec leurs amis Franz Marc, August Macke, Alexej von Jawlensky, Marianne Werefkin et Paul Klee, pour les plus connus.

Quand la guerre éclate en 1914, Kandinsky, qui est Russe, doit quitter l’Allemagne. Le couple se sépare et ne se reverra qu’une fois en 1915. Malgré les promesses de mariage faites à Gabriele, Kandinsky épouse en catimini une jeune Russe. Munter s’exile quelques années en Scandinavie puis revient en Allemagne. Elle se réinstalle à Murnau en 1930 avec son nouveau compagnon, l’historien d’art Johannes Eichner. Elle se remet à peindre intensément dans la maison russe jusqu’à la fin de sa vie en 1962. Elle est enterrée au cimetière de Murnau.

Maison de Gabriele Munter à Murnau ©LB

La maison russe, perchée sur une colline, se visite. Après restauration, elle est redevenue comme au temps où Munter et Kandinsky y vivaient. On découvre avec enchantement une maison d’artistes toute simple au confort spartiate, presque une maison de poupée. Les meubles et boiseries, artistiquement peints de motifs et couleurs vives par Munter et Kandinsky, lui confèrent un cachet très personnel de même que les œuvres des deux artistes. Et le jardin fleuri est un régal pour les yeux. Le musée du château de Murnau rend également un vibrant hommage au couple en exposant nombre de leurs tableaux (legs de Munter).

La plus importante collection d’œuvres du Blaue Reiter se trouve au musée Lenbachhaus de Munich, auquel Munter a fait une donation conséquente en 1957. Si toutes ces peintures ont pu parvenir jusqu’à nous, c’est grâce au courage dont Gabriele a fait preuve pendant la seconde guerre mondiale. Bravant les nazis, qui considéraient les artistes du Blaue Reiter comme des « dégénérés », elle a caché leurs œuvres dans la cave de sa maison de Murnau pour éviter qu’ils ne les détruisent !

Lottie Brickert

Münter-Haus – Kottmülleralle 6 – 82418 Murnau a. Staffelsee (Bavière, Allemagne) – Ouverte de 14:00 à 17:00 du mardi au dimanche.

Intérieur de la maison de Gabriele Munter à Murnau. Photo: Lottie Brickert

 

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4 réponses à Gabriele Munter, Vassili Kandinsky et le mouvement du Blaue Reiter à Murnau

  1. solange dit :

    Dommage que vous n’ayez pas ajouté à cet article d’un tableau de Gabriele Munter !

    • solange dit :

      « un tableau » et non d’un..

      • Lottie dit :

        Merci Solange et Marie de vos commentaires.
        Oui, vous avez raison : dommage de ne pas avoir mis une oeuvre de Gabriele Munter à titre d’illustration. Malheureusement, les photos dont je disposais ne convenaient pas.
        Et, je trouvais la peinture de Kandinsky plus à propos. La maison de Gabriele Munter se trouve exactement en face de l’église Saint-Nicolas de Murnau et du cimetière où elle est enterrée. Depuis la maison, on a une vue sur l’église et inversement.
        Dans le tableau de Kandinsky, proche de l’abstraction, on voit à la fois l’église Saint-Nicolas et la maison de Gabriele Munter qui lui fait face. Cette peinture est donc chargée de signifiant.

  2. Marie-Josephine Fayet dit :

    Mais en fait le tableau illustrant l’article n’est-il pas de Gabrielle Munter ?

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