C’est un mystère presque aussi ancien que les civilisations auxquelles il se réfère : à quoi pouvait ressembler la musique dans l’Antiquité ? Sommes-nous capables sinon de la reproduire, du moins de l’imaginer ? Quelle était son importance ? Qui la pratiquait ? Une partie de ces questions trouve réponse dans l’exposition « Musiques ! Echos de l’Antiquité » qui vient de s’ouvrir au Louvre-Lens, au cœur du bassin minier, sans doute la région de France qui compte le plus de sociétés musicales. Mais n’espérez pas pour autant entendre ce qu’entendaient nos très lointains aïeux. «Pour avoir une idée de cette musique, il faut d’abord oublier toutes nos connaissances musicales» prévient l’un des huit commissaires de la manifestation, Sylvain Perrot, pourtant capable de déchiffrer certains systèmes complexes de notation en usage il y a plusieurs millénaires.
Image ci-dessus: Mosaïque d’Orphée ( cité antique de Vienne) Fin du 2e siècle après J.-C.© Paul Veysseyre, musée de Saint-Romain-en-Gal / Service Presse/ Musée du Louvre-Lens
Quelques tentatives de restitution sonore ont bien été menées (certaines sont présentées ici) mais il ne s’agit que d’hypothèses. Oubliez donc les reconstitutions hollywoodiennes. Exit les trompettes d’Aïda. Il ne vous restera que l’imagination pour traduire mentalement l’art des sons à partir des documents rassemblés. Ces documents sont d’importance, autant par leur nombre (près de 380, venus de toute l’Europe) que par leur diversité, depuis les percussions de Mésopotamie jusqu’aux bas-reliefs de Rome, en passant par les papyrus d’Egypte et les vases de Grèce. Avec une certaine audace et… beaucoup de pédagogie, l’exposition a pris le parti de croiser les informations et met en parallèle les civilisations grecque, romaine, égyptienne et orientale. Une approche pratiquement structuraliste et un joli travail de coordination pour les spécialistes.
Quelles que soient l’époque et la société, la musique joue un rôle primordial. Si elle est toujours présente dans les moments essentiels de la vie, elle permet aussi d’approcher le divin. Les sociétés antiques baignent dans le sacré. Certains dieux sont eux-mêmes musiciens, comme Apollon, le poète à la lyre, ou Hathor, la déesse égyptienne dont l’effigie orne le manche des sistres. Quand elle ne s’adresse pas aux dieux, la musique accompagne les puissants dont elle souligne l’autorité. Elle se fait entendre dans les cortèges et les chasses royales. Les banquets orientaux se déroulent au son de la harpe ou de la lyre. Lors des périodes de guerre, la musique change de registre, devient fonctionnelle pour transmettre les messages ou encourager les combattants.
La mort, considérée non comme une fin mais comme un passage, fait nécessairement appel à la musique, qui favorise l’accession du défunt à l’autre monde. L’image de musiciens orne parfois le décor des tombes à l’intérieur desquelles ont a pu retrouver des instruments ou des figurines de musiciens. Il s’agit soit de professionnels reconnus comme tels (ils auront pour cela suivi un apprentissage et reçoivent un salaire) soit d’amateurs et simples exécutants. On notera qu’à certaines époques les femmes peuvent aussi vivre de cet art même si elles restent cantonnées dans les palais (en Orient) ou les temples (en Egypte).
La transmission des connaissances se faisant essentiellement de façon orale – on ne retrouve jamais de musicien devant une partition – le manque de documents écrits est sans doute l’une des difficultés auxquelles se heurtent les chercheurs. En revanche, des découvertes récentes ont permis d’établir un corpus assez important d’instruments. Un certain nombre ont été retrouvés dans les tombes : trompettes de Toutânkhamon à Thèbes, cymbales à Suse, sistre d’un prêtre isiaque (culte d’Isis) à Nîmes, harpe, lyres et tambourins en Egypte. Le climat sec de la vallée du Nil a permis de retrouver un certain nombre d’objets sonores en bois et en cuir dans un assez bon état de conservation, une chance pour l’organologie. Dans bien des cas cependant, en raison de leur caractère fragmentaire, l’identification a été délicate. Au point de donner lieu à quelque méprises. C’est ainsi que, soucieux d’authenticité pour son opéra Aïda créé au Caire en 1870, Verdi fit spécialement fabriquer des trompettes en s’inspirant de vestiges d’instruments conservés au Louvre. Un siècle plus tard, le responsable des Antiquités égyptiennes s’aperçut que ce que l’on avait pris pour un instrument de musique n’était en réalité… que le pied d’un brûle-parfum ! Cela n’entama en rien l’énorme succès de ces fameuses trompettes d’Aïda que l’en entend en début de visite, comme pour rappeler la vague d’égyptomanie qui avait envahi la France au XIXe siècle, donnant naissance un siècle plus tard à une science très élaborée.
Gérard Goutierre
Musée du Louvre Lens , 62300 Lens, Pas de Calais, jusqu’au 15 janvier 2018. Tous les jours sauf mardi.
Au Caixa Forum de Barcelone du 8 février au 6 mai, puis au Caixa Forum de Madrid du 6 juin au 16 septembre.