Son buste trône à Vervins, petite ville de 2500 habitants à l’est de Saint-Quentin, place Papillon (Jules-Léandre Papillon, 1844-1894, archéologue, lithographe). Regard volontaire, barbe épaisse, moustaches arrogantes : pas de doute, Pascal Ceccaldi était un homme d’importance. Sur le socle du monument, une profession de foi : « Je préfère la vérité au lucre ».
Nous sommes au cœur de la Thiérache, verte région bocagère proche des Ardennes, riche de paysages naturels et d’architectures caractéristiques, épargnée par le tourisme de masse. Si la ville de Vervins rend ainsi hommage à Pascal Ceccaldi (1876-1918), c’est peut être moins pour ses activités d’avocat, d’homme politique, de député et de président du conseil général, que pour avoir fondé en 1906 un journal d’opinion dont la particularité est d’avoir résisté à toutes les évolutions techniques depuis plus de cent ans… et d’être toujours présent.
« Le Démocrate de l’Aisne », plus que centenaire, est aujourd’hui le seul journal d’Europe à être encore fabriqué “au plomb“ avec les mêmes techniques qu’au XXe siècle. Malgré les apparences, ce journal n’est pas une reconstitution artificielle : il apporte son lot d’informations locales et nationales à un bon millier d’abonnés qui méritent plus que tout autre le qualificatif de « fidèles ».
Visiter ce journal, pénétrer dans ce qui constitue à la fois le secrétariat de rédaction, l’atelier et l’imprimerie, constitue un rafraîchissant retour vers le passé. Au fond d’un petit square, à l’ombre de l’ancien palais de Justice, un atelier discret, comme un vieux garage de village. Il date de 1875. Au dessus de la porte, une sobre pancarte à la peinture écaillée dont on n’imagine pas qu’on puisse un jour la remplacer. L’intérieur fait penser à une boutique de brocanteur plutôt qu’à une salle de rédaction, mais l’odeur, caractéristique, est celle des ateliers à l’ancienne que connaissaient bien dans les entreprises de presse, ceux qu’on appelait les ouvriers du Livre. Et puis, lorsque les employés sont à la tâche (il faut une journée pour bâtir une page), ce petit cliquetis bien particulier des caractères tombant les uns après les autres.
Mis à part l’arrivée récente de la photographie, l’aspect du journal n’a guère changé depuis 1906. Quatre pages grand format avec des articles serrés et bien alignés et une impression qui trahit quelquefois son âge. Pas la propreté de l’offset et encore moins la froideur de l’informatique, mais un encrage irrégulier qui ne nuit cependant pas à la lecture. Le contenu : des informations locales et nationales, un volet important pour le patrimoine (dont une inévitable rubrique en patois picard), peu ou pas de faits divers. La dernière page est réservée aux annonces légales. Elle sont les bienvenues, car elles assurent la subsistance financière du journal, plusieurs fois menacé par les dépôts de bilan.
En 1987, une association s’est constituée afin de venir au secours de ce que les habitants considèrent comme une institution. Aujourd’hui, avec plus d’un millier d’abonnés (la moitié sont de la Thiérache) pour un tarif annuel de 26 €, Le Démocrate de l’Aisne parvient à équilibrer son budget. En réalité le danger vient plutôt non des finances, ni véritablement de la formation du personnel (la passion motive ceux qui font vivre le journal), mais de la difficulté d’entretenir les machines. Il faut faire preuve de débrouillardise pour trouver les pièces de rechange pour ces machines qui ont forcément un certain âge… et qui ne se fabriquent plus depuis plusieurs décennies. Heureusement, il existe en Belgique à une centaine de kilomètres de Vervins, une poignée de passionnés toujours prêts à trouver la pièce manquante, quitte parfois à la fabriquer. Quant au papier, qui alimente la vieille rotative suisse de 1927, une Duplex, il vient d’un fournisseur de la Somme, seul capable de proposer des bobines avec le grammage approprié. Quoi qu’il en soit, le jeudi soir, sauf imprévu, le journal est déjà sous bandes prêt à être envoyé aux abonnés.
Avec ses 112 ans d’existence, le journal publiera bientôt son 3.500e numéro. Les abonnés savent-ils que les quatre pages de « leur » journal contiennent autant de textes qu’un tabloïd de seize pages ?
Gérard Goutierre
Le Démocrate de l’Aisne 2 rue Dusolon 02140 Vervins.
Formidable !
Je viens de prendre connaissance de votre article et nous sommes ravis ici au Démocrate. Vous rendez bien compte du travail réalisé chez nous et cela s’avère très valorisant pour une aussi petite équipe alors merci pour tout.
Madame Dufrénois
Journaliste et directrice du Démocrate de l’Aisne
Bel article. J’adore !
bonjour
votre article fait partie de ces minces lignes du souvenir du temps qui passe… avec vos mots ce temps, non seulement s’est arrêté quelque part dans cette belle région axonaise, où des lieux insolites fourmillent en grand nombre, mais où d’illustres hommes et femmes, comme de moins connus en grand nombre, ont laissé ici des graines de vie germer pour l’éternité….
que ce journal perdure et que le travail de personnes éprises de cette ardeur soit récompensée de leur simplicité..