En coulisses, en l’occurrence devant son poste de télévision, Alain Bauer commente sobrement le discours de Manuel Valls se portant candidat à la présidence de la République. L’ex-premier ministre s’est cru inspiré en disant que « la réussite ne se mesure pas au montant du compte en banque, elle se mesure à la lumière qu’on a dans les yeux ». Maître du Grand Orient de France, Alain Bauer qualifie l’argument de « merde infâme ». C’est là l’intérêt drolatique du « Journal du off », une BD sortie il y a peu sur la dernière campagne présidentielle. Le « off » est ce qui ne devrait pas être répété mais qui doit être répété.
A la manœuvre il y a au départ deux journalistes politiques Renaud Saint-Cricq et Frédéric Gerschel accompagnés pour le dessin par l’auteur de BD, James. Lancée en 2016, l’idée consistant à mettre en page les petites choses qui font tout le sel d’une campagne en coulisses, a été durement perturbée par l’accident (grave) de Frédéric Gerschel lors d’un déplacement en Irak. Mais plusieurs de ses confrères se sont mobilisés pour que le projet soit finalement achevé au mois de mai 2017.
Depuis « Quai d’Orsay », on sait qu’on peut s’amuser à travers ces récits politiques réalisés à la marge du traitement ordinaire de l’actualité. Dans « Le Journal du off » tout est spécifié authentique. On y apprend entre autres choses que le 20 mars 2017, lorsque Jean-Luc Mélenchon procède à des test micro dans un studio télé de la Plaine Saint-Denis, plutôt que de répéter « un, deux, trois », il préfère réciter du Apollinaire en puisant dans le « Pont Mirabeau ».
Hormis cette référence au fondateur des Soirées de Paris, on sourit à ces perles qui émaillent une campagne par ailleurs inédite par ses rebondissements et différents coups de théâtre. Alors qu’il n’est qu’un candidat parmi d’autres, on « entend » Emmanuel Macron commenter ainsi les protagonistes du champ de bataille : « Les deux grands partis aujourd’hui, ce sont des amicales de boulistes. Mais sans l’amitié et sans les boules ». On croirait du Sarkozy dans le texte quand l’ex-président qualifiait aimablement ses collaborateurs de « valises sans poignées ».
Pour qui se régale de vacheries à l’acide, cette BD présente un étal assez généreux. Cette recension concentrée est singulièrement édifiante au-delà de ses effets comiques. L’originalité des propos sortis de la bouche des candidats est la plupart du temps préméditée car ils savent que quelqu’un écoute toujours. Si ce n’est pas un journaliste présent, ce peut être un collaborateur qui enregistre en douce un débriefing d’un François Fillon en pleine tourmente et qui expédie le « son » sans délai, via son téléphone, à l’un de ses contacts dans la presse.
On suit donc pas à pas le travail de Pierre Bogart, un journaliste créé pour l’occasion. Comme les vrais, il est le témoin de toutes ces petites misères qui font également partie du quotidien de notre personnel politique tel Eric Woerth s’offusquant de ne pas être au premier rang d’un meeting ou encore le maître du protocole précisant à Nadine Morano que sa place est elle aussi en retrait.
Au final on s’amuse, les 126 pages se feuillettent sans ennui. Mais l’ouvrage ravive l’amertume de cette présidentielle asymétrique où la politique a perdu beaucoup de sa tenue. Ce « Journal du off » nous rappelle que la télé-réalité a tout débordé, inondant le monde politique de sa capacité à tout niveler par le bas. A bien y réfléchir, on rit jaune.
PHB
« Le Journal du OFF » chez Glénat
Par Gerschel, Saint-Cricq, James