Ce qui est intéressant dans cette exposition sur Gallimard à la BNF Mitterrand, c’est la trajectoire d’une idée devenue une marque centenaire et un industriel de l’édition. C’est en 1909 qu’apparaît La Nouvelle Revue Française fondée par des écrivains comme Gide et Schlumberger et c’est à partir de 1911, avec l’arrivée du jeune Gaston Gallimard comme gérant, que l’affaire va prendre tournure. Il faudra attendre 1919 pour qu’une société endosse le nom Gallimard et devienne une maison d’édition à part entière tout en restant soigneusement reliée à la revue de départ qui sera désignée plus simplement par l’acronyme NRF.
Ne dissertons pas sur l’épopée Gallimard c’est tout l’objet de cette exposition qui se propose d’en dévoiler certaines coulisses comme les fiches de lectures ou les courriers d’auteurs. L’agencement général est tout sauf violent ou choquant, il se déploie paresseusement pour les passionnés des livres qui y trouveront leur compte quand ils ne déploreront pas l’absence de certains auteurs.
Que va devenir Gallimard pour les cent ans à venir ? Voilà une vraie question, déjà posée il est vrai. Les maisons d’éditions commencent seulement à être touchées par les technologies numériques. Alors que les maisons de disques en ont déjà durement éprouvé l’impact avec des dégâts économiques qui ne sont pas évaluées pas avec de la petite monnaie.
L’édition de disques comme celle de livres a longtemps vécu sur un monopole technologique insuffisamment souligné parce masqué derrière la noblesse des droits d’auteurs. Dans un premier temps, l’industrie musicale, ses éditeurs comme ses auteurs, en ont d’abord largement profité. Les deux catégories repassaient devant le tiroir caisse à chaque évolution, du vinyle à la cassette, puis de la cassette au disque compact. Le fait que les consommateurs payaient plusieurs fois de suite des droits d’auteur pour la même oeuvre n’a jamais ému les acteurs de cette industrie qui s’enrichissaient on peut les comprendre à chaque nouveau péage.
Graver un disque sur un support en vinyle puis sur une bande magnétique puis sur un CD restait une activité d’industriel quasi monopolistique et lucrative. La démocratisation du son musical advenu avec les facilités d’Internet a logiquement affolé les esprits et les portefeuilles. Seul le consommateur, qui osait récupérer sur Internet un fichier qu’il avait déjà en 45 tours, était montré du doigt sous la pression de puissants lobbys.
Les éditeurs de livres, pendant ce temps, s’estimaient et s’estiment encore à l’abri, car la lecture d’un livre sur un support numérique fait toujours entrer des droits et des bénéfices. Ils se croient donc parés ce qui est une erreur. Mais de puis peu la fabrication se démocratise, elle aussi. La répartition du rapport de forces s’apprête à changer dans des proportions encore difficiles à évaluer.
Etre éditeur hier, nécessitait on l’a dit outre des moyens industriels mais aussi des capacités financières importantes. Il fallait (il faut encore) éditer dix jeunes auteurs pour voir émerger un gagnant tout en perdant sur neuf. Et la rentabilité globale, malgré les bêtes à Goncourt et autres Renaudot, a toujours été faible, de l’ordre de 3%. La faute en incombe aux déchets, aux rebuts, aux coûts de distribution, aux frais de marketing, à l’entretien des écuries d’auteurs à succès etc…
La situation change. Admettons un individu avec une marque d’édition nouvellement créée et un auteur prometteur qu’il aurait découvert. Il commence tout d’abord par se connecter sur un site Internet d’édition à la demande spécialisé. Il fait mettre en page en ligne le livre en question sans formation particulière avec un logiciel en général assez facile d’emploi. Une fois qu’il estime le résultat satisfaisant, il dispose d’une adresse URL qui permet à qui s’y connecte de découvrir par exemple une quinzaine de pages de l’ouvrage concerné. A ce stade l’éditeur n’a toujours pas sorti d’argent de sa poche.
Si un consommateur est intéressé il l’achète en ligne admettons 30 euros. Le site Internet envoie alors un ordre à un atelier d’impression numérique à la demande quelque part dans le monde, au plus près de l’acheteur, qui va le recevoir par la poste. Dans le même temps l’éditeur en herbe reçoit une facture d’impression et d’expédition disons de 25 euros. Sa marge sur cette seule vente est donc de 20%. Un pourcentage insignifiant pour un seul achat mais qui sera nettement plus substantiel si le livre se vend beaucoup ce qui est facile à comprendre.
A la seule condition de trouver des auteurs au succès potentiel -et on touche là le fond du métier d’éditeur- les technologies nouvelles pourraient donc rebattre les cartes du marché sans plus d’investissement qu’un ordinateur et…du flair. Cet accès facilité à l’édition, où chaque livre imprimé est déjà vendu, peut notamment concerner des segments à risques comme l’édition de livres d’art ou de poésie.
Qu’il s’agisse d’un danger ou d’une chance, ces nouveaux aspects sont encore émergents et n’excluent pas encore une fois les fondamentaux d’un métier qui ne date pas d’hier. Les vieilles maisons comme Gallimard qui maîtrisent justement leur artisanat sauront-elles tirer leur épingle du jeu le moment venu ? C’est toute la question posée aujourd’hui à la maison centenaire.
La vidéo de l’exposition Gallimard sur le site de la BNF Mitterrand
j’aime beaucoup cette analyse, super intéressant
Quelle analyse la maison Gallimard elle-même fait-elle de cette dernière (r)évolution ? L’anecdote récente montrant la non-implication (le mot est faible) de ses responsables dans l’existence de la marque sur twitter (un amateur a géré un compte gracieusement au nom de Gallimard, pendant des mois, sans aucune marque d’intérêt de la part de l’entreprise) interroge…