L’été, il prend l’allure d’un champ de blé jauni. Ses quelques arbres verts apportent une ombre bienvenue. Personne n’y va. Il n’y a pas d’ailleurs de passage protégé qui permettrait la traversée. Un vieux panneau indicateur mentionne la proximité de la Porte de Versailles. C’est un îlot désert, un rond-point inhabité, une surface vierge dont personne ne rêve, à deux pas du métro et du Palais des Expositions. Et ils sont quelques uns comme ça à Paris, sans identité, sans statut. Des surfaces perdues.
Quand on emprunte les Maréchaux, peu importe par quel moyen, on les croise. Il y a celui de la Porte d’Aubervilliers par exemple. Autour tout a été refait et bien fait. Mais ce rond végétal est tout juste fauché de temps à autre. Il compte une allée comme une de ces pistes d’atterrissage que l’on aperçoit d’en haut sur les terres australes françaises. L’explorer tel Livingstone requiert de viser une trajectoire vite menée. Les voitures vont vite et les piétons sont des gêneurs pour les orbiteurs pressés d’emprunter le périphérique ou de rejoindre la ville par la tangente sud. Cette terre-là est banale et ne suscite pas vraiment la curiosité. Sans doute que quelque hère y dort de temps à autre à la belle étoile en spéculant sur des jours meilleurs mais on ne les voit pas. Ils arrivent tard et repartent à l’aube laissant derrière eux une bouteille vide, quelques papiers froissés.
Il y en a un de plus chic, au beau milieu de la place Dauphine. Il est étrange aussi celui-là. Malgré qu’il soit parfaitement inaccessible à ceux qui ne savent pas courir, il est aménagé pour la promenade. Son large plan comporte des allées, des poubelles (vides) et même un monument du souvenir sur lequel est inscrit « Ne pas subir ». On a beau chercher le souterrain qui permettrait de s’y rendre en sécurité on ne le trouve pas. Renseignements pris auprès de la guichetière de la station RER, il n’existe pas, « hélas » dit-elle. Pourquoi ne pas mettre au moins un passage piéton? On ne sait pas. L’îlot reste sauvage et c’est sans doute l’explication. Moyennant quoi, quand on l’observe depuis la côte pavée, cette terre fait rêver. Elle est comme une aire exotique à proximité de la fac Dauphine à un jet de galet de la plus belle entrée de métro de Paris.
L’un des plus « spots » du genre reste celui de la Porte de Saint-Cloud. Le terrain n’y est pas sphérique mais taillé comme un stade. Là encore, mystère et boule de gomme. On voit bien de loin qu’il y a des bancs pour s’asseoir au pied des deux tours signées Paul Landowski. Mais pour y accéder, il faut également prendre les jambes à son coup en sollicitant la protection de Saint-Antoine et aussi celle de Sainte-Thérèse pour faire bon poids. Une notule de « Paris Art déco » (1) nous indique que le lieu date de 1936. Qu’une des tours représente la vie rurale et l’autre la vie citadine, y compris les plaisirs du jazz.
Cependant que l’endroit est désolé. Les fontaines sont à l’abandon. Elles ne sont plus en eau en raison nous dit-on « de nobles raisons de conservation ». Mais quelle belle esplanade fait-elle au milieu de la foule et pourtant à l’abri de toute fréquentation. Elle donnerait envie de stationner la Packard noire tout au bord, de sortir le nécessaire à pique-nique du coffre avec une table, une nappe blanche et des vins fins. De là on regarderait le monde qui grouille autour, avec la cloche de l’église Sainte-Jeanne de Chantal toute proche pour nous indiquer que durant les agapes, le temps s’écoule. Et qu’il arrive un moment où il faut bien siffler la fin de la récré.
PHB